Promenades dans Saint-Sauveur-des-Monts
- Mélanie Tremblay
- 24 juin
- 6 min de lecture
Par Jacques Gouin
Cahier no 21, mars 1984
On apprend plus de choses dans les bois que dans les livres.
— Saint Bernard, Lettre no 106
Depuis plus de six ans, je sillonne chaque jour en tous sens les rues et avenues de Saint-Sauveur-des-Monts, ce village incomparable des Laurentides où j’ai choisi de vivre après une soixantaine d’années de vie urbaine. Ce qui m’a amené, comme dit Saint-Bernard, à apprendre plus de choses que dans les livres. Et pourtant, Dieu sait à quel point l’amour des livres a toujours été la passion dévorante de ma vie ; ce qui explique, hélas, à quel point j’ignore, à mon grand regret, l’entomologie, la botanique et la zoologie. Si je puis à peine distinguer une abeille d’une guêpe, une rose d’une pivoine, un lièvre d’un lapin, ou encore une épinette d’un sapin, je n’en savoure pas moins, maintenant que je suis villageois, avec de plus en plus d’intérêt, toutes les manifestations sonores, visuelles et odoriférantes de la grande symphonie de la nature. Et cela, grâce à mes promenades quotidiennes à travers le village.

Qu’est-ce qui rend pour moi Saint-Sauveur-des-Monts « incomparable ? ». C’est que, contrairement à la plupart des villages québécois, il ne se limite pas à une seule artère centrale, parsemée ici et là de quelques poussières de maisons, mais qu’il forme un assez vaste rectangle irrégulier, presque complètement quadrillé de rues et d’avenues. Certaines de celles-ci, dont la rue Principale et l’avenue de l’Église, par exemple, ont conservé leur tracé initial naturel, c’est-à-dire des méandres capricieux qui leur confèrent un aspect champêtre tout à fait charmant, où il fait bon se promener et musarder.
Comme j’habite à l’extrémité nord-ouest du village, je me dois de décrire d’abord ce coin paisible. Il s’agit de la Place Saint-Pierre… qui n’a rien à voir avec le Vatican, si ce n’est très indirectement à cause d’un curé de ce nom qui a laissé sa marque dans la paroisse. Je suis encore seul sur le coin d’un îlot, entouré des trois autres côtés par des terrains vagues encore invendus, et qui resteront invendables, j’espère, à cause de leur sol marécageux. Un de mes voisins est un excellent peintre du dimanche ; une de mes voisines, une habile artisane ; un autre est policier de la Sûreté du Québec, ce qui me rassure contre les vols, les meurtres et autres horreurs qui n’épargnent plus, hélas, notre patelin.
Par la fenêtre de mon salon, je puis voir, juchée sur le haut d’une colline, la maison de repos des Pères Dominicains, la Montagne de l’Horeb. Je m’y suis rendu, un jour, par curiosité. J’ai vite compris qu’il s’agit d’une maison de repos, car celui qui m’y accueillit n’avait guère la façon longue, comme on dit. Je me suis vite enfui, en me disant qu’on n’a plus les monastères qu’on avait ! En regardant vers la gauche de mon salon, j’y vois la pente de ski La Marquise, dont le nom me rappelle l’épouse du marquis d’Albizzi, ancien propriétaire de la pension qui devint, par la suite, le restaurant Le Duché, malheureusement détruit par un incendie en 1981.
À l’automne, cette vue de mon salon devient vraiment féérique, alors que les feuilles revêtent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. C’est pour moi la saison par excellence, alors que la nature se pare de toutes ses splendeurs, comme si elle voulait se faire pardonner d’avance les rigueurs qu’elle nous réserve pour l’hiver. Pourtant, l’hiver a aussi ses charmes, surtout pendant la saison de Noël, où la plupart des maisons brillent de tous leurs feux, avec leurs arbres devenus multicolores. Le printemps et l’été ne sont pas en reste, ce qui fait que les quatre saisons ont chacune leurs attraits particuliers.
Pour ma part, il n’est pas de vent, de pluie, de tempête, de neige ou de grêle, qui m’empêchent de faire ma promenade quotidienne, souvent biquotidienne, le matin et l’après-midi. En effet, le plus souvent, après quelques écritures et lectures tôt le matin, je me rends au centre du village pour y chercher mon courrier et y acheter mon journal. Après un peu de bavardage, de bouquinage et de musardise à la Librairie Saint-Sauveur, avec mon bon ami Richard Jobson, je reviens à la maison pour répondre à mes correspondants ; de sorte qu'après le repas du midi, suivi d’une courte sieste, je reprends de nouveau le chemin du village, cette fois, pour poster mes lettres et bavarder encore avec mon libraire, que je conseille parfois en matière de commandes de livres. Du reste, la plupart des ouvrages que je lui conseille de commander aboutissent le plus souvent dans ma bibliothèque, de sorte que je suis pour lui un assez bon client.
L’après-midi, je varie parfois mon itinéraire. Ainsi, en empruntant la rue Hébert, derrière chez moi, je puis me rendre jusqu’à la Seigneurie, assez vaste emplacement en voie de construction, dont toutes les rues portent des noms de noblesse : Duc, Marquis, Baron, etc. Il n’y manque qu’une rue Chevalier pour compléter l’armorial nobiliaire de ce quartier du village. Les maisons de divers styles, québécois, breton, normand ou suisse, y sont fort jolies, et les rues composent un dessin irrégulier tout à fait agréable à l’œil. Il faut rappeler ici que Saint-Sauveur 3, l’année de sa fondation comme paroisse en 1853, faisait encore partie de la seigneurie des Mille-Îles, dont le siège était à Saint-Eustache ; d’où, évidemment, la pertinence historique de ce nom de Seigneurie donné à ce quartier du village.
Rue Hébert, angle Chartier, donc de biais avec l’arrière de ma maison, se trouve celle qui fut habitée 3 de 1949 à 1964 par les écrivains Léo-Paul Desrosiers et Michelle Le Normand, dont j’ai raconté l’histoire dans deux cahiers précédents (nos 8 et 14). Il conviendrait peut-être un jour avec la permission des propriétaires actuels de cette maison, d’y apposer une plaque commémorative, du genre de celle que nous avons apposée sur la maison de Claude-Henri Grignon à Sainte-Adèle, le 16 octobre 1983, pour marquer le cinquantenaire de parution de son roman Un homme et son péché.
3 Saint-Sauveur-des-Monts existait depuis les années 1837-38. Son érection canonique remonte à 1853, et son
incorporation en municipalité, le 6 août 1855. Son premier maire, William-Henry Scott (1855-62) fut réélu pour un second mandat quelques années plus tard. N.D.L.R.
Une fois parcourues toutes les rues de la Seigneurie, je reviens vers la rue Principale par la rue Des Seigneurs. Parfois, je m’arrête à la Galerie Michel Bigué, afin de contempler pour la ne fois un Fortin ou un Suzor-Côté que je n’ai pas les moyens d’acheter !
Cette partie de la rue Principale jusqu’à l’avenue de l’Église m’apparaît toujours comme le véritable centre nerveux du village, comme une espèce de Gold Coast où les commerçants font effectivement des affaires d’or… à condition qu’il y ait du soleil l’été et de la neige l’hiver !
Une autre variante de mes promenades me conduit parfois, par la rue Guindon, jusqu’à la résidence Saint-Sauveur, que je lorgne de plus en plus, à mesure que la vieillesse m’envahit, et que les rhumatismes gênent mes mouvements. C'est là que je finirai sûrement mes jours, me dis-je. Pourtant, je repousse toujours de ma pensée cette solution fatale et finale… Avec de moins en moins d’énergie, dois-je avouer !
La visite du Centre commercial, La Galerie des Monts, fait souvent l’objet d’une autre promenade. En effet, on peut y flâner assez longuement. Après quoi, en empruntant la rue Saint-Denis, en direction du Mont Saint-Sauveur, je m’arrête parfois à l’Auberge Saint-Denis pour y prendre un verre… de Vichy le plus souvent, maintenant que j’ai renoncé à Bacchus et à toutes ses pompes ! La vieillesse encore une fois, avec ses hideuses exigences ! J’y suis toujours accueilli avec une grande courtoisie par M. Desjardins, jeune propriétaire de cet établissement.
D’autres nombreuses variantes s’offrent à moi dans mes promenades biquotidiennes. Furetant à droite et à gauche, bavardant avec celui-ci et celui-là, je commence enfin, après six années de déambulations constantes dans tous les quartiers du village, à en connaître tous les recoins, surtout un grand nombre de ses citoyens, dont M. Télesphore Léonard et ses fils ; M. Hormisdas Dagenais et ses fils ; M. Cyprien Lacasse, directeur de nos Cahiers ; M. Louis-Charles
Bouffard, ancien conseiller municipal maintenant conseiller de notre Société ; M. Cyrille Lapointe, notre vice-président ; M. le curé Jean Adam, avec qui j’essaie de rivaliser d’humour ; le ministre protestant Horace Baugh, avec qui je puis discuter d’anglicanisme en évoquant les romans victoriens d’Anthony Trollope, car ce charmant homme est fort cultivé ; enfin, Me Raoul Lupien et combien d’autres.
Dans sa première bucolique, Virgile nous parle du pâtre Tityre qui, étendu à l’ombre d’un hêtre, joue du pipeau en surveillant ses brebis. Le tableau est champêtre à souhait ; du reste, il a traversé les siècles. Comme je joue parfois de la flûte à bec, à l’ombre de mes cèdres fragiles, mais grandissants, je me complais à évoquer ce personnage virgilien. Mais, me plaisent beaucoup plus encore mes longues promenades sans but précis dans ce village enchanteur qu’est Saint-Sauveur-des-Monts. Du reste, j’aimerais bien avoir la plume — ou plutôt le stylet, devrais-je dire, — de Virgile, pour en chanter comme il conviendrait toutes les beautés exquises.
Jacques Gouin, mars 1984
LM-131-11
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