Les Voyageurs des Pays d'en Haut
- Mélanie Tremblay
- 13 nov.
- 6 min de lecture
Par Léon Martin

Les Canadiens eurent toujours le goût de l'aventure et des voyages. De là, nos. navigateurs, nos coureurs de bois et nos voyageurs des pays d'en haut. C'est de ces derniers que nous voulons plus particulièrement parler ici.
Qu'entendait-on autrefois par un voyageur des pays d'en haut? À l'origine, le mot «voyageur» s'appliquait à tous les explorateurs, les trafiquants de fourrures, les trappeurs et les coureurs de bois, mais peu à peu le mot ne servit plus qu'à désigner les Canadiens engagés au service des compagnies de traite qui transportaient dans leurs canots, sur les rivières et les lacs du Nord canadien les fourrures de la compagnie du Nord-Ouest et de la compagnie de la Baie d'Hudson.
Au siècle dernier, les Voyageurs se rendaient presque tous à la Rivière-Rouge et ne dépassaient guère les frontières du Manitoba. Mais ceux qui les précédèrent, sous le régime français, promenèrent leurs fragiles canots d'écorces de bouleau sur tous les fleuves, lacs et rivières du Canada et des États-Unis d'aujourd'hui, de l'est à l'ouest et du nord au sud.
C'étaient de rudes gaillards! Il n'y avait peut-être pas, dans tout le pays, gens plus décidés, ni plus fiers de leur état. lls formaient, en effet, une classe à part, tout à fait distincte de celle des marins et de bûcherons. Ils avaient leur langage propre, émaillé de mots indiens recueillis au cours de leurs voyages, d'anglicismes aussi et d'autres mots bien français d'origine qu'ils fabriquaient pour leurs besoins. Ils avaient aussi leur costume propre.
Le voyageur portait une chemise courte, des jambières en peau de daim allant des chevilles jusqu'au dessus des genoux, le pantalon de toile des Indiens et des mocassins. Sur la tête il avait un bonnet de laine rouge, sur les épaules une capote bleue, à la taille une écharpe aux couleurs vives, à laquelle pendait une large bourse. Le tout toujours accompagné d'une inséparable pipe.
C'était en général un homme court et traput, d'une force peu commune, pouvant avironner quinze heures par jour, pendant des semaines, porter sur son dos des charges de deux cents à quatre cents livres, et trouver encore le courage de s'amuser le soir au campement. Hommes rudes, courageux et forts, les voyageurs n'étaient pas pour cela grossiers. Bien au contraire! Car l'un des traits de leur caractère, - de nombreux historiens, français et étrangers l'ont noté, - était la politesse. Comme tous les anciens Canadiens, les voyageurs parlaient toujours respectueusement à leurs supérieurs, aux Indiens et aux dames. Bien que ne sachant, le plus souvent, ni lire ni écrire, ils étaient fort bons causeurs. Leurs récits, d'ailleurs, étaient toujours extraordinaires. On disait pour cela des voyageurs qu'ils n'avaient jamais vu de petits loups...
Vous vous représentez donc assez bien le voyageur avec son bonnet, sa pipe, son fusil, ses mocassins et sa ceinture fléchée, mais n'oubliez pas son canot et son aviron.
Grace Lee Nute écrit à ce sujet:2
«Sans le canot d'écorce de bouleau l'histoire de l'Amérique du Nord eût été toute différente. Les troncs d'arbres creusés, les bateaux. les radeaux et autres moyens de transport auraient pu remplacer les canots en de nombreux cas et sur de nombreuses voies d'eau; mais les canots de troncs d'arbres ne pouvaient se transporter facilement à dos d'homme sur les portages qui rendaient si ardue la route des explorateurs et des trafiquants; les bateaux et les radeaux ne pouvaient être habilement manoeuvrés dans les rapides; et une douzaine d'autres objections pouvaient être présentées pour prouver que le canot est le seul moyen de transport pratique dans une grande partie des lointaines frontières du commerce des fourrures.
On les choisissait ainsi (surtout les avironneurs) pour qu'ils prennent moins de place dans les canots révèle un document vu sur la •route des pionniers•.
2 NUTE, Grace Lee. The Voyageur. New York, chez Appleton and Co. Traduction: Le Messager de New York.
Pas un seul Canadien n'ignore, il va de soi, que les canots de nos ancêtres étaient faits d'écorce de bouleau. C'est des Algonquins qu'ils apprirent à les fabriquer.
Les canots étaient de trois sortes. On connaissait le canot de Montréal, long de trente cinq à quarante pieds, en usage sur les Grands Lacs et sur le fleuve Saint-Laurent; le canot du Nord, de vingt-cinq pieds de long et capable de porter une charge de trois mille livres, outre son équipage; le canot bâtard, que montaient dix canotiers.
À ceux-là ajoutez les demi-canots longs d'une vingtaine de pieds, et le canot léger des Indiens, qui est devenu ce que l'on connaît maintenant partout sous le nom de canot canadien, ou canoë, comme on dit en France, Dieu sait pourquoi!
La région de Québec fournit un grand nombre de hardis voyageurs, mais c'est surtout à Montréal et dans les villages environnants qu'on les recrutait: Laprairie, Lachine, Châteauguay, lie-Parrot, Pointe-Claire, Saint-Philippe, Chambly, Boucherville, lie-Jésus, Varennes, Terrebonne, Lachenais, Longueuil, Saint-Ours, Vaudreuil, Saint-Léonard, Mascouche et !'Assomption.
C'est à partir de 1815 qu'on appelle «voyageurs des pays d'en haut» ou tout simplement «voyageurs» tous les Canadiens engagés au service des compagnies de traite, à titre de canotiers surtout. Les deux compagnies qui luttaient pour s'emparer du commerce des fourrures au Canada, la Compagnie du Nord-Ouest et celle de la Baie d'Hudson, cherchaient activement les meilleurs sujets.
«Depuis longtemps, écrit l'abbé G. Dugas dans son livre Un voyageur des pays d'en haut. ces marchands avaient compris l'avantage qui résultait pour leur commerce à s'entourer de serviteurs canadiens, parce que ceux-ci supportaient mieux les fatigues que les Européens, et parce qu'ils savaient s'attirer l'affection des Sauvages. Tous nos trappeurs canadiens étaient bien vus des tribus indiennes. Une des causes des rapides succès de la compagnie de Nord-Ouest fut le personnel dont elle sut s'entourer; la presque tata.lité de ces serviteurs étaient des Canadiens français et des métis français.»
Voilà, maintenant, d'après le même auteur, comment se recrutaient les Voyageurs:
«Chaque printemps, à Lachine et dans la banlieue de Montréal, quelques semaines avant le départ des voyageurs pour la Rivière-Rouge, au Manitoba, il y avait des embaucheurs qui recrutaient des jeunes gens pour les compagnies de traite. Au village de Lachine, où se trouvaient de grands dépôts de marchandises et de pelleteries, les vieux trappeurs qui avaient déjà vu le Nord-Ouest, se réunissaient pour préparer les provisions et le chargement des canots. Pendant quinze jours, c'était pour ces vieux loups du Nord, une suite de fêtes et de divertissements; ils invitaient tous leurs amis et faisaient bombance; on aurait dit qu'ils tenaient à dépenser jusqu'à leur dernier sou et à partir le gousset complètement vide. La boisson coulait à flots. C'était pendant ces jours de fête que les engagements se signaient.
Les pauvres jeunes gens qui n'avaient jamais dépassé les limites de leur paroisse, regardaient avec admiration leurs anciens camarades, devenus voyageurs, portant ceinture fléchée et mocassin brodés, fêtés comme des princes et jouant avec l'argent.»
Et ces jeunes gars de la campagne, soit pour gagner de l'argent, soit pour voir du pays et jouir d'une plus grande liberté, s'empressaient de s'engager, poussés par la soif de l'or et de l'aventure. Mais la vie de voyageur était beaucoup plus pénible qu'ils ne le croyaient. À dire vrai, c'était une vie excessivement dure et il ne pouvait y avoir que nos solides ancêtres pour la mener.
Au jour du départ, les canots préparés et montés de rameurs décidés, la flottille de canots s'ébranlait, au chant cadencé d'une chanson d'avirons. Le voyage, de Montréal au Nord-Ouest allait durer deux mois de canotage et de portage, deux mois d'un travail épuisant.
Et c'est là que «les mangeurs de lard» en arrachaient! Le nom de «mangeurs de lard» était donné aux nouvelles recrues. ccToutes les nouvelles recrues, écrit l'abbé Dugas étaient décorés, pour la première année, du nom de «mangeurs de lard».» L'origine de ce sobriquet viendrait des nombreuses plaintes exprimées par les conscrits, quand ils se voyaient réduits à n'avoir pour toute nourriture, le long de la route, qu'une maigre ration de maïs.
Les Canadiens de nos campagnes sont accoutumés à manger de la viande de porc bouillie dans la soupe. C'est un mets que les habitants, affamés par leurs rudes travaux des champs, trouvent délicieux.
Aussi, dès que les nouveaux voyageurs se voyaient privés de ce bon plat de famille qu'ils avaient savouré autrefois avec délice, ils se lamentaient comme les Hébreux au souvenir des oignons d'Égypte, et répétaient ce refrain: «Ah, si on avait du lard!» La pitance allouée pour la journée consistait en une pinte de maïs lessivé et une once de graisse.»
Les Voyageurs n'étaient pas tous des avironneurs toutefois, comme on le croit généralement aujourd'hui. On comptait parmi eux des commis des interprètes, des guides, des conducteurs de canots et des rameurs. Les novices étaient ordinairement rameurs.
Vous doutez-vous de ce que portait un grand canot, partant de Lachine par exemple, pour les pays d'en haut? En voici un inventaire: Quatre-vingt-six livres de bagage, six cents livres de biscuit, deux cents livres de petit-salé, trois boisseaux de fèves, deux toiles cirées, une voile, une haussière, une hache, une chaudière, une certaine quantité de brai, d'étoupe et d'écorce pour les réparation du canot, et quelques outils divers.3
Sur les Voyageurs on pourrait raconter des histoires pendant des heures, mais elles sont toutes tellement extraordinaires que le lecteur finirait par ne plus nous croire...
3 NdR: Radisson nous a raconté, dans un texte déjà présenté dans nos cahiers, comment, quand on redescendait avec les fourrures, on s'en tenait à encore plus de parcimonie quant à la charge pour tout ce qui n'était pas bonne pelleterie...

LM-057-32




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