La vieille maison
- Admin
- 6 juin
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Jacqueline Dumas SHGPH
Quand on a la chance de rencontrer des gens qui aiment, je dirais même, qui chérissent leur maison, il ne faut pas laisser passer l’occasion. Il faut tendre l’oreille, il faut les écouter et il faut prendre des notes. Leurs paroles nous font vite comprendre le respect qu’ils portent à l’ouvrage de l’artisan, et leur amour du vrai et du beau. J’ai vite senti la fierté qu’ils éprouvent d’être entourés de plus de cent-cinquante ans d’histoire. C’est pour ces raisons que j’ai voulu partager cette rencontre avec vous. Les propriétaires actuels de cette maison, Mylène et Jean, connaissaient la richesse historique des lieux lorsqu’ils en ont fait l’acquisition.

Documents à l’appui, on peut retracer le déroulement des transactions réalisées sur les lots où se trouve notamment cette maison, à partir de l’ouverture de la colonisation dans le Canton d’Abercrombie. Il s’agit des lots 60, 61, 62, 63, 64 et 65 situés à l’époque dans la paroisse Saint-Sauveur, le long de la rive ouest de la rivière du Nord. Ce secteur fait aujourd’hui partie de la municipalité de Piedmont.
En juillet 1864, lesdites terres appartiennent au docteur Joseph Lachaine, de Sainte-Adèle qui, à son tour, les vend à un certain Isidore Charbonneau, cultivateur de Saint-Canut, par l’entremise du notaire Champoux, de Sainte-Anne-des-Plaines.

Cette source de renseignements peut être vérifiée à la page 21 du numéro 66 de la SHGPH.
Mais qui les avaient vendues au docteur Lachaine quatre ans plus tôt ?
Nul autre que l’Honorable Augustin-Norbert Morin, en 1861.
On se rappellera que, dès le début de la colonisation, A.- N. Morin avait acheté de nombreuses terres dans le canton.
Ce renseignement paraît au recensement de 1865 et peut être vérifié dans les cahiers Collection privée Mylène Trépanier de la Société. On y trouve les noms des propriétaires riverains de la rivière du Nord.
Quelques clauses au contrat de vente sont très spécifiques. La transaction a lieu le 7 juillet 1865. Le vendeur (Lachaine) se réserve donc la récolte sur ces terres vendues, le droit à l’engrangement et le droit de battre la récolte de grain dans les bâtiments. Il se réserve en plus les droits de propriété sur un moulin à scie qui se trouve sur une de ces terres, à la côte à Lessard, ainsi que le droit de se servir du terrain nécessaire autour du moulin pour y placer les billots et le bois scié, et ce, aussi longtemps que le moulin existera.
Toutes ces terres ont probablement changé de mains plusieurs fois au cours du dernier siècle et demi. Étant parmi les plus fertiles de la région, donc les plus convoitées, du fait qu’elles se comparent avantageusement à celles que se partageaient les dénivellements abruptes ou les pics rocheux. Le lot qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui porte le numéro 65.
Il passe aux mains de Joseph Charbonneau dès 1890. Ce dernier en vend une partie à la Cie de Chemin de fer de Montfort en 1893 et une autre en 1894. On pourrait dire, d’après l’expression du temps: «le haut de sa terre».

Après le décès de son mari, Mathidlée continuera d’habiter cette maison pendant quelques années. Deux ans plus tard. Joseph Charbonneau remet le reste de la terre à Isidore Charbonneau qui, en 1896, vend cette même terre à Jérôme Plouffe (1846-1904), de Saint-Sauveur, époux de Mathildée Charbonneau (1854-1937).
Plus tard, elle vend la terre à Joseph Chartrand, qui la cède par testament à dame Angélina Pilon. Vers 1933, un dénommé Sinaï Constantineau est propriétaire du lot 65. Il le laissera par testament à dame Armandine Maillé, en 1938. Celle-ci en revendra une partie à Fernand Constantineau six ans plus tard et le reste à Henri Constantineau en 1944.
Les années passent et la maison est toujours là…
Le 18 octobre 1962, Jean Lacasse achète cette solide maison, avec ses dépendances et le terrain immédiat qui l’entoure. Il est horloger de profession et s’intéresse beaucoup aux antiquités. Plus tard, il aura même un commerce d’antiquités à Montréal, car les objets du passé, les bois patinés par le temps et les meubles anciens l’intéressent toujours. Pendant plus de quarante-quatre ans, lui et sa famille habitent dans la maison et continuent de collectionner de «bien belles choses».
Il n’hésitait jamais à redonner vie à une belle pièce antique. Il avait l’œil, il était connaisseur. Sans son savoir, beaucoup de petits trésors auraient disparu. Exemple, ce magnifique cabinet à musique en bois de rose, avec une lyre sculptée dans la porte avant, avait bien mauvaise mine lorsqu’il s’est retrouvé dans l’atelier de la rue Laurier à Montréal. Et pourtant aujourd’hui, il fait l’envie de plusieurs.
Monsieur Lacasse dût aussi à son tour quitter les lieux. Pratiquement aucune transformation n’avait été faite sur le bâtiment principal, qui aurait pu être construit avant 1864.
Collection privée Madeleine Crevier
De son côté, Mylène Trépanier rêvait de cette maison. Elle connaissait bien la famille Lacasse, elle était souvent venue dans la maison en question. Bien qu’elle habitait la région des Laurentides depuis sa tendre enfance, elle n’aurait jamais pensé son rêve réalisable. Pourtant, elle n’a pas hésité bien longtemps quand l’occasion s’est présentée en 2006.
Une maison qui porte plus de cent-cinquante ans d’histoire dans ses murs impose le respect et exige beaucoup de travail. Heureusement, son ami Jean est là et elle peut compter sur lui. Tous les deux veulent redonner à la maison l’authenticité du début, tout en y ajoutant un certain confort. Mettre à nu les poutres, faire valoir la beauté du bois et apprécier le travail des bâtisseurs de l’époque est toujours fascinant. Ils imaginent déjà l’œuvre terminée.
Si on commençait par le toit ? Se disent-ils. Ce serait logique, non ? Et les voilà à l’œuvre. Chaque jour leur apporte une découverte de plus et fait germer une nouvelle idée. Il faudra plusieurs années pour compléter l’œuvre. C’est un «travail de moines», la restauration de vieux bâtiments, surtout quand on les habite.

Cette maison québécoise, dont le carré de charpente est de pièce sur pièce à coulisse, a comme revêtement extérieur, des planches posées à la verticale. Un toit à deux versants, avec ses lucarnes à pignon, lui donne fière allure. Le toit se prolonge pour recouvrir la galerie sur la façade. Ce qui la caractérise le plus, c’est la porte d’entrée, magnifique avec ses deux panneaux vitrés terminés en demi-lunes. Une rallonge en pièce sur pièce, équarrie à la main, semble avoir été construite ailleurs et juxtaposée au bâtiment principal comme bas-côté. Il n’en est rien; elle faisait partie de la maison originale.
Le tout forme un ensemble aux lignes équilibrées agréable à l’œil, dans un décor champêtre digne du siècle dernier.
Mylène se sert de cette pièce comme atelier. C’est là que son travail prend forme et que les petites maisons voient le jour. Le bois, la peinture, la récupération de toute belle chose, elle connaît ça.
Rien ne lui échappe et elle sait où elle posera la moindre trouvaille. Ses petites maisons, elle les pense, les dessine, les peint, les décore et les rassemble pour en faire des murales uniques. Mylène est bien connue et appréciée dans beaucoup de galeries d’art, un peu partout au pays et même ailleurs. Elle sait que son travail d’aujourd’hui fera partie de l’histoire de demain.
La petite rue qui fait rêver…

Mylène Trépanier, membre # 406 SHGPH
LM-113-25
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