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La Situation démographique et socio-économique de la population de Sainte-Adèle vers 1860

Par Claire Guénette


Tenter de retracer ce que pouvait être la vie d'une communauté à une certaine époque, c'est réanimer des personnages avec leurs activités, leurs manières de vivre, de se loger, de se nourrir. Telle est ma motivation en voulant faire revivre la vie dans le village de Sainte-Adèle en 1860.


Sainte-Adèle est alors une communauté rurale naissante, issue du mouvement de colonisation. Elle a été érigée en paroisse en 1852, soit dix ans environ après l'arrivée des premiers colons. En effet, Augustin-Norbert Morin vint s'y établir en 1842, s'étant fait concéder d'énormes étendues de terre dans les cantons Morin et Abercromby actuels. Après les avoir fait cadastrer, il les vendit aux colons.


Une étude déjà ancienne existe, publiée par l'abbé Lacroix à l'occasion du 75e anniversaire de la paroisse de Sainte-Adèle. Elle présente un intérêt certain : elle utilise les archives paroissiales, municipales et diocésaines et y ajoute des témoignages de colons de la première heure qui vivaient encore dans les années 20.


Testard de Montigny s'est également intéressé à l'ensemble de la région de Laurentides. Occasionnellement, il parle de Sainte-Adèle et son témoignage de témoin attentif mérite d'être retenu.


John Little a aussi étudié une communauté rurale en 1860. Il fait revivre un groupe d'anglophones des Cantons de l'Est et les compare ensuite avec des francophones.

Ce texte est intéressant mais il faut s'abstenir de faire un rapprochement systématique avec la situation à Sainte-Adèle: le contexte est différent. Communauté plus ancienne, climat plus doux, sol plus fertile, moyens de communication plus développés, proximité des centres et des États-Unis permettent à la société étudiée par Little un développement plus articulé avec les grands marchés.


Jean Séguin, quant à lui, a étudié la situation à Hébertville à l'époque qui nous intéresse. Cette communauté est également née du mouvement de colonisation; les conditions de relief, de climat et de communication y sont difficiles. Cette étude nous a servi de modèle et de point de comparaison. Nous croyons que notre apport plus spécifique à la petite histoire se situera au niveau de la situation démographique et socio-économique de Sainte-Adèle en 1860.


Notre travail part des données du recensement de 1861 qui constituera notre source la plus importante de renseignements. Un dépouillement systématique permet de dresser une fiche pour chacun des ménages. On y retrouve le nom, l'âge, l'origine ethnique et l'occupation du chef de ménage, le nom du conjoint, son âge, l'âge et le sexe des enfants ainsi que des renseignements de même ordre sur les autres personnes qui vivent sous son toit. On y retrouve aussi la liste de ses propriétés.


Ce dernier renseignement, couplé au recensement agricole, nous a permis de brosser un tableau général de la paroisse en établissant des moyennes et en découvrant les disparités les plus évidentes entre les individus et entre les trois districts de recensement qui forment la paroisse.


Ajoutons que des études sur les politiques et les décisions administratives des instances gouvernementales du Canada Uni ont aussi aidé à comprendre mieux le contexte général dans lequel évoluait cette communauté de Sainte-Adèle en 1860. Il ne faut pas oublier que nous sommes avant la confédération et que la province de

Québec comme entité politique autonome était disparue avec la liquidation du Bas­ Canada et ne devait revivre qu'avec la Confédération.



Situation démographique


1. L'âge de la population

Comme il fallait s'y attendre, (s'établir sur un lot dans une région éloignée et le défricher exige une santé robuste et une dose énorme d'énergie) les statistiques nous révèlent une population jeune et active. Sur une population totale de 1628 âmes, 523, c'est-à-dire un individu sur trois sont âgés de 17 à 39 ans. Plus de la moitié de la population a moins de 16 ans. C'est là une promesse d'avenir pour Sainte-Adèle mais aussi un fardeau très lourd pour la population active. 59% de la population a moins de 20 ans, ce qui est plus élevé pour ce groupe d'âge que dans l'ensemble de la population du Québec que Hamelin et Roby qualifient de population type d'avant la révolution industrielle.1 Enfin, un détail amusant, le plus vieux chef de ménage a 91 ans et le plus jeune, 18 ans.


Par contre le nombre d'enfants par famille est 5,7 en 1851 dans la province alors que, dans Sainte-Adèle, il est de 3,9 . Dans un des trois districts de la Paroisse, on peut observer un phénomène assez surprenant: 17 couples n'ont pas d'enfant, bien que 2 seulement soient âgés de plus de 45 ans. Comme nous reviendrons fréquemment sur les distinctions qui existent entre les trois districts il convient ici de les situer.



Le district numéro 29 comprend les rangs 9, 10 et 11 du canton d' Abercromby; c'est




Hamelin, J. et Y. Roby, Histoire économique du Québec 1851-1896, Fides, 1971, page 6

le village et ses environs2. Le district numéro 30 compte les rangs 1, 2, 3, 4 et 5 du canton Morin. Dans le district numéro 31, au nord de Sainte-Adèle vers Sainte-Agathe, se trouvent les rangs 6, 7, 8, 9, 10 et 11 du canton Morin. Dans ce dernier district, les concessions sont de 70 acres au lieu de 50 comme dans les autres districts; on y trouve également un plus grand nombre de grandes concessions.


2. Origine ethnique

Selon Raoul Blanchard3, Les Laurentides ont été colonisées au début par des immigrés européens, surtout des Irlandais. Par la suite, à partir de 1830, les Canadiens français ont envahi la région alors que les Irlandais se déplaçaient vers d'autres régions. En 1861, on retrouve à Sainte-Adèle, quelques familles irlandaises et allemandes, au total, 6 Irlandais et 17 Allemands. Ces personnes semblent bien intégrées à la communauté puisque des mariages ont eu lieu entre Canadiens français et Allemands.



3. Composition des ménages

Pour étudier la composition des ménages, nous sous sommes inspirés de la classification de P.Laslett en la modifiant quelque peu. Nous avons constaté, en effet qu'un grand nombre de ménages accueillaient des personnes identifiées comme «étrangères à la famille». Nous avons donc ajouté ce critère de classification afin de tenir compte des caractéristiques de notre population. Les différentes catégories se répartissent donc comme suit:


2 Note de l'éditeur: Le lecteur qui reporte cette division sur une carte trouvera que, curieusement, les rangs de ce district, partie du canton d' Abercromby, sont orientés est ouest, tandis que les rangs du canton Morin sont orientés nord sud. Cela cause des difficultés quand on veut situer, par exemple, situer l'un par rapport à l'autre les deux rangs «10>►l'un du canton d' Abercromby et l'autre du canton Morin.


3 Blanchard, Raoul, Le centre du Canada français, Montréal, Beauchemin, 1947, page 427.


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On constate donc que 67 % des maisons abritent des familles nucléaires; mais 31 % des ménages sont formés de regroupements et une famille sur 5 accueille un étranger. Est-ce là un phénomène permanent ou temporaire? Un colon raconte que, à l'automne, lui et ses voisins se regroupaient dans une seule maison afin d'y passer l'hiver. Il n'était pas rare non plus de trouver refuge chez un colon hospitalier en attendant que la maison soit construite : le mari laissait femme et enfants pendant qu'il passait l'hiver à défricher et revenait chercher sa famille au printemps.


4. Scolarité

Le taux d' analphabétisation est extrêmement élevé mais il diffère selon les districts. Dans le district numéro 29 qui comprend le village, 68 adultes de plus de 21 ans sur 181 savent lire et écrire soit 37,5%. Le taux est de 17,8% dans le district numéro 30 et de 9,4% dans le district numéro 31. La disparité est encore pire en ce qui touche la fréquentation scolaire chez les enfants de 6 à 16 ans. Au village et ses environs, un enfant sur trois fréquente l'école (56 sur 166); de plus, 2 d'entre eux ont 5 ans et un a quatre ans! Dans les autres districts, 4 enfants au total vont à l'école. Il ne faudrait pas croire à une analphabétisation généralisée chez tous ces enfants. En effet, selon certains témoins de l'époque, comme Edmond Lacroix dans son Histoire de Sainte-Adèle (1927) en a rencontré, il était courant qu'un adulte sachant lire et écrire réunisse chez lui de jeunes voisins pour leur enseigner les notions les plus élémentaires. Un fait à noter, tous les Européens sont scolarisés.



Situation économique


1. Agriculture

Puisque nous avons ici une population essentiellement rurale et agricole, il était normal de nous demander d'abord ce que pouvait rapporter une terre en 1861 et comment le colon pouvait y vivre.


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Si, maintenant on dresse un tableau de la répartition des fermes selon leur valeur, on obtient un tout autre portrait. Des 21 fermes qui valent plus de 1 000 $, soit 8,5% du total, 13 sont dans le district 29 (le centre) et, parmi celles-ci, deux sont évaluées à plus de 5 000 $ (6 250 $ et 8 000 $). Parmi ces dernières se trouve la ferme du notaire Lavallée qui s'est beaucoup intéressé aux techniques agricoles.


Poêle carré fabriqué раr Normandale Turnace, comté de Norfolk, Ont., vers 1820.
Poêle carré fabriqué раr Normandale Turnace, comté de Norfolk, Ont., vers 1820.

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Voyons maintenant à quoi ressemble la ferme moyenne de chacun des districts


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On peut donc constater que dans le village et ses environs immédiats, la valeur d'une ferme est nettement plus élevée que dans les autres secteurs et qu'on y trouve plus de terre cultivée. Par contre, dans le district 31, même si les superficies sont plus importantes, plus des trois quarts sont en forêt. C'est une région accidentée et y faire

«de la terre» devait être très difficile.


On cultive sur presque toutes les terres de l'orge, de l'avoine, du sarrasin, un peu de seigle, des pommes de terre. On y ajoute un peu de pois et des navets pour le bétail. Tous récoltent du foin. On sème du blé (2,9 % du total). On met surtout l'accent sur l'avoine qui vaut, à elle seule, plus de 45 % de toutes les récoltes.


Le district 30 obtient un rendement supérieur à la moyenne pour toutes les céréales. Pourrait-on l'expliquer par le fait que les terre sont plus neuves, donc moins épuisées que dans le centre? Quant au district 31, le recenseur note que les faibles rendements sont dus au fait que les colons ont défriché trop tard et n'ont pu semer assez tôt le printemps. C'est dans le centre, toutefois, que le foin est le plus abondant.


La plupart des fermes n'utilisaient qu'un équipement très rudimentaire: Sur 95 fermes (38,7 %), on l'évalue à moins de 10 $... Dans le district numéro 31, 64 % des colons n'ont à peu près rien pour travailler.


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Comme nous l'avons vu, le colon qui s'installait montait généralement à l'automne avec une hache et une scie, se bâtissait un abri, défrichait deux ou trois acres de terre et faisait brûler au printemps. En vendant la cendre ainsi obtenue, il se procure des provisions pour son année, une ou deux vaches, du foin et une faucille ou une faux s'il le peut 4.


4 Hamelin et Roby, op.dt. page 180.


La plupart des fermes possédaient une ou deux vaches laitières; même au village, on gardait quelques animaux, des vaches et des chevaux surtout. Le colon avait aussi un ou deux chevaux, quelques moutons (2,6 en moyenne), un ou deux porcs (moyenne 1,5). Dans l'ensemble de la paroisse, 108 fermes ont un cheptel dont la valeur est de moins de 50 $. Si nous nous rendons à 100 $, nous rejoignons une autre tranche de 24,9 %. C'est donc deux fermes sur trois qui ont moins de 100 $ comme valeur totale de leur cheptel. La valeur totale moyenne du cheptel se situe à 95,31 $ alors qu'en 1860, elle était de 244 $ pour l'ensemble du Québec5.


Sauf pour quelques habitants qui produisent plus de beurre et de lard, probablement que le bétail sert d'abord à la subsistance de la famille. Même au village, 53 ménages sur 58 font du beurre (une moyenne de 182,2 livres). Cette moyenne est de 106,7 livres dans le secteur numéro 30 et de 67,7 livres dans le district numéro 31. Par ailleurs, dans ce dernier district, dans le rang 10 vers Sainte-Agathe, Joseph Bélisle, un cultivateur mieux installé, en fabrique, à lui seul, 800 livres. Si l'on enlève sa production, la moyenne pour l'ensemble de ce district neuf tombe à 55,5 livres. Toutefois, le recenseur note que les colons vont au marché y vendre le boeuf et le porc, non pas en barils, comme c'est l'habitude, mais ils transportent les animaux entiers. Autre particularité de ce rang, plusieurs colons y vendent du poisson frais (plus de 800 livres au total).


Les vergers et les jardins rapportent peu, en général. La plupart évaluent leur production à moins de 10 $. Pour toute la paroisse, 7 seulement dépassent 30 $, mais l'un d'eux, Pierre A. Labrie, marchand au village, l'évalue à 100 $.



5 Minville, cité par Little, J.I., The Social and Economie Development in the Quebec Townships, 1852--1870, in Canadian Papers in Rural History, vol 1, chez Donald H. Akenson, Gananoque, Ontario, 1978, pages 89 à 113.




Moyens de transport


Sur tout le territoire, on dénombre 33 voitures d'agrément dont la valeur, selon le notaire Lavallée s'échelonne de 6 $ à 44 $, pour une moyenne de 18,48 $. Cette moyenne, pour tout le comté de Terrebonne se situait alors, selon Stanislas Drapeau, à 25,81 $6. Pour l'utilité générale, on fabriquait des véhicules rudimentaires mais bien adaptés aux conditions difficiles de transport qui prévalaient à ce moment-là. Souvent le colon se demandait s'il réussirait à passer à travers les roches et les fondrières; c'est avec peine que le cheval tirait sa charge...7


L'Artisanat


La production artisanale est peu élevée: une famille sur 3 environ produit du sucre, de la laine et du lin. On produit 79,7 livres de sucre, en moyenne, dans le centre. La moyenne des autres secteurs tombent à 28,4 livres et à 30,5 livres. La production de laine est de 10,8 livres dans le centre, 2,5 livre dans le district numéro 30 et de 5,3 livres dans le district numéro 31. Quant à l'étoffe, 19 % seulement des ménages en fabriquent (moins de 1 sur 5) et ces producteurs produisent 3,4 verges en moyenne. Il n'y a que 16,7 % des ménages qui produisent de la flanelle. Quant à la toile, c'est dans le secteur nord que la production est la plus élevée, 3,5 verges contre 2,6 verges dans le secteur sud et dans le secteur du village. Au village, quatre personnes seulement produisent de la toile mais en plus grande quantité : 154,6 verges au total. Est-ce à dire que les 22 fermes qui récoltaient du lin le vendaient ou l'apportaient pour le faire tisser? Nous avons là, croyons-nous, une ébauche de spécialisation de l'industrie domestique.


6 Drapeau Stanislas,Études sur les développements de la colonisation du Bas Canada depuis 10 ans (1851-1861). Québec: L. Brousseau, 1863.


7 Hamelin et Roby, op. dt. page 153. Voir aussi les Cahiers d'Histoire des Pays d'en Haut,

les numéros 6,7 et 8: Souvenirs d'un colon.




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Commerce et Industrie


Le commerce le plus répandu dans un centre de colonisation était sans doute celui de la potasse et de la perlasse. Le colon transportait la cendre de ses «brûlis» à la potasserie la plus proche. Les premiers colons de Sainte-Adèle devaient aller à Saint­ Jérôme. Mais les acheteurs ne tardèrent pas à aller s'établir près des colons, devenant ainsi les premiers marchands généraux. D'après Blanchard8, il était fréquent de voir fumer les chaudrons de potasse à côté des comptoirs. Certains fabriquaient le perlasse, qui était un produit plus raffiné et plus complexe obtenu par évaporation. Le sel qui restait était très apprécié des agriculteurs anglophones qui rappelaient

«pearl ash».


Chacun des secteurs devait bientôt posséder ses potasseries. On trouve même deux perlasseries: une au village et une autre à la sortie de Sainte-Adèle, vers le nord. C'est d'ailleurs en continuant vers Sainte-Agathe qu'on trouve le plus de potasseries : 9 au total. Il ne semble pas que les potasseries nécessitaient d'investissements importants.


Par contre, la perlasserie exige une bâtisse de 24 pieds par 30 pieds environ, évaluée à 1 200 $ et rapportant en moyenne 1 400 $ par année pour douze tonneaux de perlasse et environ 1 000 $ pour le sel. Quant à la potasse, elle se vendait 120 $ le tonneau : c'est du moins ce qu'en retiraient, en moyenn'7 chacune de neuf potasseries du secteur nord. Ces entreprises constituaient donc plutôt un revenu d'appoint qu'un commerce comme ceux de messieurs Labrie et LongpréA


Un autre type d'industrie s'est développé très vite dans les Laurentides; c'est le moulin à scie et le moulin à farine, mus par l'eau. Près du village, sur la rivière du


8 Blanchard, Raoul, op. cit., page 2A3


Nord, on trouve le moulin à farine d'Adolphe arier, évalué à 28 000 $ ainsi que deux moulins à scie dont l'un appartient au notaire Lavallée. Au nord du village, Magloire Longpré possède un moulin à scie et à farine, et, dans le quatrième rang, un autre moulin à scie important est établi. La plupart de ces industries engagent un ou des employés dont le salaire mensuel varie entre 6 et 25 dollars. La très grande différence de salaire peut venir du fait que certains de ces employés sont logés et nourris.


Enfin, certains commerces sont établis à Sainte-Adèle. On y trouve une auberge, deux boutiques de charpentier, une boutique de forge, deux magasins généraux et une boucherie. Sauf un des charpentiers, aucun de ceux qui gagnent leur vie dans ces commerces n'est cultivateur. Il est par ailleurs à noter que le notaire Lavallée et le meunier Marier exploitent chacun une ferme. De même, Magloire Longpré, au nord du village, cultive sa terre même si ses moulins et sa perlasserie semblent très bien aller. Ajoutons que même le Curé à ses animaux.



La Société


La société qui prend forme à Sainte-Adèle est loin d'être égalitaire... Tout au long de cette étude sur la situation économique de la paroisse, les disparités qui existent entre les individus à l'intérieur d'un district et celles qui sautent au yeux entre les districts eux-mêmes nous surprennent. Si donc nous présentons maintenant le portrait de l'agriculteur moyen en 1861, il ne faut pas oublier que les extrémités des échelles économiques et sociales sont alors très éloignées.


L'habitant moyen


L'habitant moyen est âgé de quarante ans, il est analphabète et père de quatre enfants. Il possède une terre de 95,7 acres dont moins du tiers est défriché. La ferme vaut 600 $ et il possède 29,47$ d'instruments aratoires. Il récolte de l'avoine, de l'orge, du sarrasin, un peu de pois, du navet, du seigle, des pommes de terre et du foin. Il produit à peu près deux cents livre de lard et quarante livres de boeuf. Son cheptel se limite à trois bêtes à cornes dont une ou deux vaches laitières, un cheval, un ou deux moutons, un ou deux porcs, le tout d'une valeur d'environ 130 $. Comme on ne sait pas précisément le prix de la livre de lard et de la livre de boeuf, le rendement du cheptel devient difficile à établir. En ajoutant le produit de son verger, de son érablière et de l'industrie domestique, il obtient un revenu annuel d'environ 150 $


Comparé à l'agriculteur moyen du Québec en 185110 il est nettement plus pauvre. Cet habitant possède une ferme de 84 acres mais dont la valeur est de 1 717,80 $ contre 600 $ ici, son cheptel vaut 227,80 $ contre 130 $ pour celui de Sainte-Adèle et son revenu est de 230 $ contre 150 $.


Il n'est donc pas surprenant que la majorité des colons doivent chercher un travail à l'extérieur pour survivre: aller bûcher pour les compagnies d'exploitation forestière, travailler à la construction et à l'entretien des chemins ou même aller travailler en ville sur les chantiers de construction ou comme débardeurs au port de Montréal. Car les échéances étaient très serrées et il fallait les rencontrer si on voulait obtenir son titre de propriété.


9 Drapeau, Stanislas, op. cit. (cet auteur donne le prix des divers produits de la ferme ce qui, avec les statistiques déjà compilées permet d'établir ce chiffre. Comme nous l'avons vu, le rendement du cheptel est le plus difficile à établir.)


10 Hamelin et Roby, op.dt. page 6


Ainsi, sur le chemin de Sainte-Agathe, Joseph Bélisle est un gros cultivateur : il possède neuf vaches laitières et trois chevaux. Son bétail est évalué à 535 $. Sa ferme vaut 3 250 $ et il fabrique 800 livres de beurre. Il a 32 ans, est père de six enfants, il exploite deux potasseries et engage deux employés. C'est chez lui que s'arrêtent les colons qui montent plus au nord afin de s'approvisionner.


D'autres sont renommés pour leur intérêt face aux nouvelles techniques agricoles. C'est le cas du notaire Lavallée qui a vendu sa propriété à Saint-Jérôme pour venir s'installer à Sainte-Adèle et y promouvoir plus efficacement la colonisation. Testard de Montigny déclare qu'il possédait «de grandes connaissances en agriculture, en horticulture et en arboriculture»11. Sa terre est évaluée à 5 260 $, il possède 100 $ d'équipements, un bon cheptel, il récolte de la pomme de terre et du foin, il produit du sucre et exploite un verger. Il possède également un moulin à scie.


Adolphe Marier était connu lui aussi comme un personnage particulièrement dynamique. Il avait fait de la prison durant le troubles de 1837. Il fut par la suite agent pour l'honorable Morin. Il «s'appliquait à mettre en pratique des données solides en agriculture et il a fait preuve d'un rare dévouement à la cause de la colonisation».12


Plusieurs de ces personnes prospères ont plus d'un lot (2, 3 et même 4). Ce sont eux qui ont formé le premier noyau des leaders. Ils sont les auteurs de démarches en 1855 afin d'obtenir de meilleurs chemins et surtout de s'assurer que le Ministère en ouvrira de nouveaux là où les colons ne disposent que de sentiers. Ils forment également le premier conseil municipal et le premier syndic.13


11 De Montigny, Benj.-Antoine Testard,La colonisation, le nord de Montréal ou la région de Labelle, Montréal, Beauchemin et Fils, 1895.


12 De Montigny, Benj.-Antoine Testard, Idem.


13 Lacroix, Edmond, Histoire de Sainte-Adèle, op. cit., 1927


Vie sociale


Nous n'avons pas étudié en profondeur le phénomène des alliances de familles. Mais il nous apparaît que les mariages se font habituellement entre familles d'un niveau équivalent: professionnels, commerçants ou cultivateurs prospères. L'épouse de Adolphe Marier est une Grignon, celle du notaire Lavallée est une Testard de Montigny. Le niveau social semble plus important que l'appartenance raciale. Comme les Européens sont souvent des habitants bien établis, ils font partie de l'élite. C'est le cas des Murphy et surtout des Sheffer. Nous retrouvons des demoiselles Sheffer comme épouses de cultivateurs bien établis, d'un greffier et du marchand Magloire Longpré.


Il est également à noter que la plupart de ces personnes font partie du district du centre, surtout du village. Comme partout, nous retrouvons à Sainte-Adèle des marchands, le curé, un instituteur, un greffier, un huissier et un notaire. Un médecin viendra s'établir au cours de 1861 : c'est le docteur Lachaîne qui achètera, pour s'y installer, la propriété de l'honorable Morin.



Conclusion


Nous voyons donc que, même si en 1861 la paroisse est encore jeune, elle possède un dynamisme certain. Son potentiel n'est pas complètement exploité. Certains secteurs ne font que commencer pendant que d'autres sont en pleine croissance. Mais sans doute qu'au moment où arrivent les colons de la dernière heure, les meilleures terres sont déjà occupées. L'agriculteur n'est pas mieux préparé qu'ailleurs ni plus instruit. Il peut cependant bénéficier quelque peu des recherches menées par certains de ces concitoyens qui se sont donné comme mission de promouvoir une meilleure utilisation des ressources.

La population est jeune. On y trouve déjà une stratification sociale importante. L'agriculteur veut d'abord vivre du produit de sa ferme, mais il commence à vendre des surplus.


Cependant, d'après Blanchard, la prospérité des Laurentides ne croîtra pas comme elle aurait dû durant la seconde moitié du XIXème siècle et l'exode de ses colons sera importante. Seul le tourisme aidera à freiner l'exode au début de notre siècle.


Nous avons les recensements de 1851 et de 1871. Un historien pourrait comparer ces deux séries de documents historiques. Même si on ne réfère qu'à celui qui a fait l'objet de cette recherche, des noms se retrouvent dans la population actuelle: ce sont des colons qui ont fait souche.


Mais comparer les contenus des divers recensements del'époque permettrait de saisir la misère de certains qui ont dû quitter et de mesurer le degré d'enrichissement et le progrès du bien-être de ceux qui ont réussi à faire grandir la vie en ce pays.


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