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La cueillette de l’eau de Pâques, une tradition qui se perd

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  • 24 juin
  • 6 min de lecture

Élaine Cousineau, membre # 504


Il y a de cela plusieurs années – j’avais alors 6 ans – j’ai eu l’occasion de passer de mémorables vacances de Pâques à la campagne dans la famille de ma mère. Mémorables tout d’abord parce que je m’y rendais en train – mon premier grand voyage – où j’y rejoignais pour une dizaine de jours ma cousine Louise que je considérais comme une sœur. Mémorables aussi à cause de la découverte d’une tradition qui n’existait pas, ou plutôt qui n’existait plus, chez mes parents de la grande ville et qui m’a émerveillée : la cueillette de l’eau de Pâques, et plus particulièrement l’énoncé des innombrables pouvoirs qu’on lui attribuait.

Ma grand-mère maternelle et mes tantes disaient cette eau miraculeuse, et dans ma tête d’enfant, je traduisais par eau magique aux pouvoirs infinis. On disait qu’elle pouvait guérir tout aussi bien un mal de gorge qu’éloigner la foudre lors d’un violent orage, ce que tante Mimi faisait en aspergeant allègrement chaque pièce de la maison à l’aide d’une branche de rameau bénit. À mon grand soulagement d’ailleurs puisqu’à cet âge, le tonnerre et les éclairs me faisaient terriblement peur et qu’ainsi, j'avais la certitude d’être à l’abri de leurs effets dévastateurs. J’osais même croire que cette eau magique entre mes mains aurait peut-être aussi le pouvoir de rendre mon turbulent petit frère moins enquiquinant !


La veille de la cueillette, Louise et moi avons assisté à la stérilisation de quelques bocaux de verre, ce qui se faisait en les laissant bouillir quelques minutes sur l’imposante cuisinière en fonte Bélanger qu’il fallait remplir de bûches comme dans un foyer. Au petit matin de

Pâques, une bonne heure avant le lever du soleil, je me souviens de tante Mimi qui nous réveille, nous fait enfiler nos vêtements les plus chauds et mettre nos hautes bottes imperméables. Pas question de prendre immédiatement notre petit-déjeuner ce matin-là, puisqu’à cette époque ceux qui voulaient aller communier devaient avoir jeûné depuis minuit la veille. Or la communion pendant la messe de Pâques était un incontournable pour tout catholique pratiquant qui se respectait. On disait alors faire ses Pâques.


Photo « empruntée » sur le site : http://evymorin.com/la-vie/une-bulle/
Photo « empruntée » sur le site : http://evymorin.com/la-vie/une-bulle/

Nous nous sommes donc rendues sur le bord du ruisseau, à quelques minutes de marche de la maison, dans un silence le plus complet. Cette année-là, Pâques se fêtait au tout début d’avril, mais je me souviens qu’on avait dû y casser la mince couche de glace qui s’était formée pendant la nuit avant de pouvoir recueillir l’eau… froide à souhait, il va sans dire ! Et puisque la provision d’eau de Pâques devait durer toute une année, nous sommes revenues chacune avec un grand bocal que tante Mimi a dûment étiqueté et conservé bien précieusement sur la tablette la plus haute du garde-manger, hors de la portée des plus jeunes qui auraient pu être attirés par cette eau à laquelle on attribuait tant de pouvoirs.





L'eau de Pâques, illustration d’Edmond-J. Massicotte, tirée de l’Almanach J.-B. Rolland, 1927, p. 158.
L'eau de Pâques, illustration d’Edmond-J. Massicotte, tirée de l’Almanach J.-B. Rolland, 1927, p. 158.

L’eau de Pâques, un effet placebo ?


Je n’ai cependant pas eu le temps de croire bien longtemps au pouvoir miraculeux de l’eau de Pâques. L’été suivant, alors que j’étais en visite au chalet d’amis de mes parents, un violent orage s’est déclaré. Je hurlais de façon hystérique à qui voulait m’entendre qu’il fallait absolument asperger toutes les pièces de la maison avec un rameau bénit trempé dans de l’eau de Pâques pour éviter que la foudre nous tombe dessus — j’avais bien retenu ma leçon. Ce qu’on a pu rire de moi ! J’ai compris bien plus tard que les adultes, qui eux n’attribuaient à l’eau de Pâques aucun pouvoir surnaturel, voulaient simplement me rassurer en riant de ma peur, et non pas de moi, en la minimisant à mes yeux, tout en me désillusionnant sur le côté magique d’un tel rituel.


Depuis ce jour, lorsque j’entends parler d’effet placebo, me revient à l’esprit mon histoire de l’eau de Pâques. Avec le recul, j’aime bien croire que cette eau avait réellement des pouvoirs miraculeux dans la mesure où les gens y croyaient sincèrement, tout comme il est aujourd'hui prouvé, en médecine, le pouvoir guérisseur des placebos utilisés chez certains malades en lieu et place de médicaments actifs.


Un rite qui relève de la tradition populaire


La tradition de la cueillette de l'eau de Pâques remonte à l'époque de la Nouvelle-France, au XVIIIe siècle. Cette cueillette nous a été transmise par les ancêtres français de la Bretagne et de la Normandie, mais son origine remonte à d'anciens rites païens autour des fêtes qui marquaient l'arrivée du printemps. Elle était déjà perçue comme une source de protection pour l'année à venir. Mais bien qu’étroitement reliée à la fête de Pâques, cette coutume ne fait pas partie de la tradition chrétienne et relève davantage de la pratique populaire.

Tout un rituel entourait la cueillette de cette eau. Tout d’abord, elle devait se faire uniquement en eau courante (source, ruisseau, rivière ou fleuve) et jamais dans un puits, un lac ou dans toute autre source d’eau dormante. De plus, elle devait absolument être puisée à contre-courant. Or l'eau vive, cueillie selon les rites anciens, possède le pouvoir de guérir les maladies de la peau et de soulager plusieurs indispositions. La cueillette devait se faire également dans un silence absolu, avant le lever du soleil.


Comme la croyance voulait que cette eau miraculeuse ait le pouvoir de se conserver toute une année, et même plus, on lui attribuait des pouvoirs presque surnaturels : elle devait protéger contre les intempéries, comme la foudre, le tonnerre, même le vent. Elle éloignait également les mauvais esprits, les malheurs, et les accidents mortels. L’eau de Pâques servait également à bénir la maison à l’aide des rameaux bénits, pour lui assurer protection contre les malheurs et spécialement contre la foudre.


Tout dépendant des régions et des pays, existait une alternative à la cueillette : se laver dans l'eau de Pâques. Elle permettait, disait-on, aux adeptes de conserver longtemps la fraîcheur de leur peau. Elle donnait aux femmes qui se baignaient dans un ruisseau ou une rivière à l'aube de Pâques, beauté et séduction, à condition qu'elles l'aient fait en silence et en secret. On dit aussi que les hommes plongeaient dans une rivière au matin de Pâques pour acquérir force, santé et virilité pendant toute l'année. Comme la fête de Pâques se situe toujours entre le 22 mars et le 25 avril, avant que le soleil printanier ait eu le temps de réchauffer notre coin de pays, les adeptes d’ici se contentaient bien souvent de verser l’eau recueillie dans une cuvette et de la faire tempérer ou réchauffer un peu avant d’y faire leurs ablutions au matin de Pâques. Climat québécois oblige !


« Attention, l’eau de Pâques peut vous rendre malade ! »


Cette mise en garde touchait évidemment ceux qui attribuaient des vertus thérapeutiques à l’eau de Pâques lorsqu’elle est bue.


Il y a plusieurs années, l'eau des petits ruisseaux ou celle qui coulait de la montagne était plus pure qu’aujourd’hui, et même si la croyance populaire voulait que l’eau de Pâques soit stérile et inaltérable, les médecins et hygiénistes se sont vus dans l’obligation d’inciter les utilisateurs à réserver cette eau pour les usages externes seulement et non pour sa consommation, tout comme l’était l’eau bénite de nos églises.

Effectivement, avec l’augmentation de la population et de la pollution, il est maintenant d’usage de prôner bien fort la nécessité de la stérilisation. Entre autres, on a commencé à mettre en garde la population contre la consommation de l’eau puisée en nature, car même l’eau la plus claire peut parfois être contaminée, soit par des coliformes fécaux d’origine animale ou humaine, par la présence de bactéries ou simplement par celle de minéraux néfastes à notre santé, tel le plomb, ou encore par celle de pesticides ou suite à des déversements volontaires ou accidentels de produits non recommandables pour la santé. Une stérilisation absente ou inadéquate ainsi qu’une mauvaise conservation peuvent aussi apporter leurs lots de bactéries et rendre le produit impropre à la consommation.


Une coutume en voie de disparition


La coutume de cueillir l'eau de Pâques est un rituel en perte de vitesse depuis que la religion perd de sa popularité dans la vie des Québécois, soit à partir des années 1960. Maintenant, la fête de Pâques s’éloigne de plus en plus des rites religieux et populaires d’antan pour faire place à des coutumes de nature plus commerciale. Les traditions en général, même si très souvent, elles restent plus longtemps vivantes dans les campagnes, se perdent au contact de l’urbanisation. À ma grande surprise, d’après mes recherches, la cueillette de l’eau de Pâques se pratique encore aujourd’hui dans certaines régions du Québec. Elle fait cependant figure de folklore plus qu’autre chose et on y vante parallèlement les plaisirs de faire une activité sociale et de profiter du plein air tout en évitant de reléguer aux oubliettes une tradition du passé. Et n’est-ce pas là une occasion à ne pas rater que d’assister au lever du soleil au petit matin de Pâques ?


Conclusion


Quoi qu'il en soit, même si la tradition de l’eau de Pâques se perd parce qu’elle ne correspond plus à notre style de vie, il est souhaitable d’en conserver la mémoire pour que nos descendants se souviennent de cette tradition et des croyances assurément naïves, mais sincères de leurs ancêtres.



Références


Souvenirs personnels

Wikipedia (eau de Pâques)  Santé Canada (eau potable)


LM-130-27

 
 
 

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