La chapelle Saint-Bernard
- Mélanie Tremblay
- 11 sept.
- 9 min de lecture
Par Lorne Townshend
Introduction
L’arrivée du chemin de fer à Sainte-Marguerite-Station permit aux familles de la région de s’établir à proximité de la gare. Le chemin de fer devint rapidement le centre commercial de l’agglomération, responsable de la venue de beaucoup de touristes qui séjournaient dans les deux hôtels de la région, le Alpine Inn et le Chalet Cochand. Ces deux hôtels procuraient aussi des emplois aux personnes locales et à leur famille.
Dans les années '30, plusieurs « villégiateurs » franco- phones et anglophones vinrent s’établir dans la région de Saint-Marguerite-Station. Pour la plupart des personnes très à l’aise et fortunées, ces nouveaux arrivés faisaient bâtir leur maison secondaire par de la main-d’oeuvre locale, souvent plus tard aussi chargée de l’entretien de ces luxueux domaines. Ceci créa des retombées économiques importantes, compte tenu de la pauvreté des gens de la région à l’époque.
Les familles locales étant toutes catholiques et la venue de nombreux touristes, dont une partie était catholique, créa un problème : il n’y avait pas de services religieux à proximité. Les deux églises existantes, soit l’église de Sainte- Adèle et celle de Saint-Marguerite-du-Lac-Masson, étaient assez éloignées et les moyens de transport fort limités. Le besoin d’une desserte à Sainte-Marguerite-Station devint donc nécessaire.
Naissance de la chapelle Saint-Anatole, qui devint la chapelle Saint-Bernard
Parmi les notables de la région, il y avait la famille Tim- mins, reconnue pour ses activités dans le domaine minier au nord de l’Ontario et du Québec. Une ville minière au nord de l’Ontario porte d’ailleurs leur nom. Cette famille catholique possédait une résidence secondaire à Sainte- Marguerite-Station et allait régulièrement à la messe le dimanche à l’Église de Sainte-Adèle.
On raconte qu’un dimanche de 1936, le curé de l’église de Sainte-Adèle, Anatole Martin, s’en prit à la famille Tim- mins pendant son sermon. Du haut de sa chaire, il reprochait aux membres de la famille Timmins leur retard et leur tenue vestimentaire. Les filles Timmins portaient des pantalons de ski… Jules Timmins père décida alors qu’il ne mettrait plus les pieds dans cette église. Avec quelques membres de la communauté bilingue catholique de Sainte-Marguerite-Station, il entreprit des démarches pour obtenir l’approbation de l’Archevêché de Montréal pour construire une chapelle.
Le 2 juillet 1936, Monseigneur Georges Gauthier, archevêque de Montréal, donna son approbation. La chapelle porterait le nom de Desserte Saint-Anatole, en l’honneur de Saint-Anatole, évêque, dont la fête se célèbre le 3 juillet. C’était aussi le prénom du curé de Sainte-Adèle de l’époque. Mgr Gauthier nomma également messieurs Jules Timmins, Adélard Matte et Adrien Émond membres du syndic de la desserte, sous la présidence du curé de Saint-Adèle, chargé d’en administrer les argents.
Adrien Émond fit don du terrain de la desserte et Jules Timmins obtint une soumission d’un contracteur de Montréal, Jos. H. Maher, pour bâtir la chapelle. Coût: 9 000,00 $. Le contracteur donna les plans et le système de chauffage comme contribution au projet, ce qui réduisit le coût net de la construction à 8 000,00 $. Ce montant n’incluait pas l’ameublement de l’église, tels les bancs, l’autel, etc.
Une première réunion officielle du syndic eut lieu le 16 août 1936 au presbytère de Sainte-Adèle, sous la présidence du curé Anatole Martin. Le contrat de construction et la donation du terrain furent alors acceptés par le syndic. Une deuxième réunion eut lieu le 3 octobre 1936 afin d’autoriser le syndic à signer le contrat de construction et autoriser un emprunt de 5 000,00 $ de la Banque Canadienne Nationale.
Ce sont les deux seules réunions auxquelles monsieur Timmins a participé, démontrant sa volonté de ne plus se présenter à l’église de Sainte-Adèle.
Une des filles de monsieur Timmins raconte que son père était un grand joueur de cartes et toutes les fins de semaine, la maison était pleine d’invités de toute religion et tous jouaient aux cartes. La chance sourit à monsieur Timmins qui consacra les gains accumulés à la construction de la nouvelle chapelle. Ceci semble plausible puis- qu’aucun autre emprunt ne fut nécessaire.
Voici quelques statistiques relevées par madame Dubuc, archiviste :
17 février 1937 - Première messe célébrée dans la chapelle. Les élèves de sexe féminin de l’école du rang située juste à côté (stationnement actuel) ont terminé tous les rabats des vêtements sacerdotaux. Elles ont tiré le fil du bord des nappes et des manuterges. Mmes Léontine et Thérèse Lessard ont effectué tout le travail de dentellerie des surplis.
L’abbé Contant, prêtre desservant, faisait ses sermons en français et en anglais.
25 décembre 1937 - Messe de minuit avec un chœur de chant dirigé par Sœur Joseph (dont le nom de fille était Philomène Lepailleur).
2 mars 1939 - Premier baptême célébré, celui des triplets Guénette. Deux garçons (Réal et Roland) et une fille (Rolande). Le curé Martin inscrivit ce baptême dans les registres de Sainte-Adèle.
En 1940, après la mort de sa mère, monsieur Jules Tim- mins fit un don de 2 000,00 $ à la chapelle, à la mémoire de sa mère.
La dernière réunion du syndic de cette époque, selon les registres, eut lieu le 3 décembre 1940, avec le curé R. Brouillet. Toujours selon les registres, aucune autre réun- ion n’eut lieu par la suite. Ceci fut l’occasion d’une réprimande de la part de l’Archevêché de Montréal (Mgr Paul- Émile Léger) le 4 mai 1951, qui se lit comme suit :
«...Or, depuis des années, nous n’avons aucun rapport financier de la chapelle Saint-Anatole, bien que nous les ayons demandés à maintes reprises. Cet état de choses ne peut durer. Par les présentes, nous retirons aux trois administrateurs toute compétence dans l’administration de la chapelle, leur enjoignant de remettre de suite, au curé de Sainte-Adèle, tout ce qui appartient à Saint-Anatole. Nous réorganiserons plus tard ce comité.
Nous demandons aux fidèles fréquentant la chapelle de ne donner aucun argent pour les sièges, le culte et le luminaire.
Ensemble, prions Dieu qu’il nous éclaire et qu’il donne à chacun le courage de faire son devoir.
Le présent décret sera lu à la chapelle Saint-Anatole le premier dimanche après sa réception.»

En 1953, monsieur l’abbé Maurice Matte fut nommé des- servant de la Chapelle. Fait cocasse, l’abbé Matte est le fils d’Adélard Matte, chef de gare congédié par Mgr Léger. L’abbé Matte a grandi à Sainte-Marguerite-Station. Il a servi comme prêtre aumônier dans l’armée durant la Deuxième Guerre mondiale.
Période d’expansion
Comme deux projets domiciliaires importants étaient mis de l’avant, soit le Domaine Deauville et Glen Wexford, lesquels devaient contribuer à un accroissement de la population, les administrateurs prévoyèrent une expansion de la chapelle en prévision de cet accroissement. Déjà, au début des années '50, la chapelle offrait deux messes le dimanche matin, une à 9 h pour les enfants et une autre à 11 h 30 pour les adultes. Curieusement, la population locale allait plutôt à la messe de 9 h et les villégiateurs et touristes allaient à la messe de 11 h 30. Toutefois, l’église était remplie dans les deux cas.
Durant l’hiver, la chapelle devenait la Chapelle des skieurs. Une bénédiction des skis avait lieu en début de saison.
Avec l’arrivée de l’abbé Maurice Matte et la nomination de messieurs Paul Bienvenue et René Lanthier comme administrateurs, la chapelle commença à s’auto-administrer, même si c’est le curé de Sainte-Adèle, Hubert Julien, qui signait les chèques.
En 1955, les administrateurs suivants se sont joints aux administrateurs déjà en place: Messieurs Albert Daigle, Roland Campeau, Ernest Lepage et le docteur Patrick Nelligan. On parle alors d’expansion, spécialement des terrains en arrière de l’église qui appartiennent à M. Adrien Émond (un des membres du syndic original congédié par monseigneur Paul-Émile Léger). On parle également d’acquérir le terrain vacant où se situait l’école de rang, ravagée par le feu. Fait à noter : les réunions ne se tiennent plus au presbytère de l’église de Sainte-Adèle, mais plutôt à la résidence des administrateurs.
Le 18 septembre 1955, monsieur Hector Langevin est nommé administrateur et l’achat des terrains pour le presbytère et le stationnement est approuvé au coût de 1,00 $ pour les terrains de la commission scolaire et 500,00 $ pour le terrain à l’arrière de l’église.
Toujours en 1955, à la suite de discussions parmi les administrateurs, il fut décidé de faire une demande de changement de nom. Plusieurs noms furent suggérés, soit Saint-Paul, Saint-Bernard, Saint-Jules et le nom de Saint-Bernard fut retenu. Une demande à l’Évêché de Saint-Jérôme fut faite le 18 octobre 1956 et le change- ment fut autorisé le 27 octobre 1959 par Monseigneur Émilien Frenette, évêque de Saint-Jérôme.
Le 7 octobre 1956, un emprunt de 5 000,00 $ fut autorisé pour effectuer le terrassement entourant l’église.
Le 25 août 1957, John Waken fut nommé administrateur.
Le 7 décembre 1959, le projet d’un agrandissement de la chapelle et la construction d’un presbytère furent discutés et le 11 mars 1961 la décision de construire fut prise.
Le 17 septembre 1961, un contrat pour la construction du presbytère et l’expansion de la chapelle fut accordé à W. K. Dorion au coût de 35 000,00 $. Par contre, le 16 juin 1962, des modifications furent apportées par l’architecte Gilles Marchand et le contrat fut revu à 23 875,00 $. Un don de 15 000,00 $ fut reçu d’un personne anonyme. Le même jour, monsieur William Mac Enroe, trésorier du CPR, fut nommé administrateur.
En 1963, monsieur MacEnroe note que les quêtes du dimanche ne rapportent que 150,00 $ par mois, alors que le prêt de 40 000,00 $ pour la construction de l’expansion coûte 200,00 $ en intérêts seulement par mois. Une activité de financement « Visite des maisons et jardins » est donc organisée par les femmes qui fréquentent la des- serte, ce qui marque le début des activités de financement pour la chapelle afin d’augmenter les revenus pour rencontrer ses obligations.
Le 25 janvier 1964, monseigneur Émilien Frenette officialise une charte rendant la desserte Saint-Bernard essentiellement responsable pour toute son administration en- vers l’Évêché de Saint-Jérôme.
Le 1er mai 1966, l’abbé Maurice Matte, élevé au rang de chanoine, est remplacé par l’abbé René Viau.
Le 6 octobre 1968, monsieur l’abbé René Viau est rem- placé par le père Marcel Grandmaison. On rapporte que la dette de la fabrique a baissé de 2 500,00 $, et qu’une dépense au montant de 1 600,00 $ a été engagée pour le pavage à l’arrière de l’église et du presbytère.
Plusieurs changements d’administrateurs et diverses activités de financement ont lieu entre 1969 et 1986.
Le 50e anniversaire de la chapelle fut célébré le 18 mai 1986 sous la présidence de Mgr Charles Valois et les co-présidences de l’abbé Yvon Bigras, desservant à la chapelle de 1974 à 1980, du père Marcel Grandmaison, desservant de 1968 à 1974, ainsi que du chanoine René Viau, desservant à ce moment-là. La chapelle était rem- plie de fidèles. Après la messe, tous furent invités à un café et des sandwiches, fournis par l’Alpine Inn.
Le déclin
Malgré l’augmentation de la population locale durant les années 1970 à 1990, l’achalandage commence à diminuer et malheureusement, nous constatons une absence marquée des jeunes. Les finances de la chapelle en souffrent.
Les années 1980 avaient débuté avec des déficits importants de sorte que l’accent fut mis sur des collectes de fonds. Une fête champêtre organisée chaque été fut mise en place, rapportant des revenus entre 5 000,00 $ et 7 000,00 $ grâce principalement aux efforts des administrateurs de l’époque, messieurs Maurice Custeau, Peter Larocque, Guy Dubuc et Robert McDuff. Ceci a grande- ment aidé à rehausser la situation financière de la fabrique. Malheureusement, durant cette période, on négligea l’entretien de la chapelle. De plus, au fil du temps, les revenus de la fête champêtre diminuèrent pour n’atteindre que 1 192,00 $ en 1997.
Durant les années '90, le nombre de fidèles diminue d’an- née en année. La moyenne d’âge des fidèles ne cesse d’augmenter, et de plus, le manque de disponibilité de prêtres pour desservir la région affecte sérieusement le futur de la chapelle.
En 1998, une étude fut demandée pour estimer les coûts de rénovation de la chapelle et du presbytère, incluant le sous-sol de l’église. Ces travaux auraient coûté 120 000,00 $. Ceci fut un choc pour les administrateurs qui trouvaient le montant exorbitant, et les travaux ne furent pas exécutés.
En février 2000, afin de remédier aux besoins financiers de la chapelle, la Fondation Saint-Bernard fut incorporée afin d’être en mesure de fournir les fonds nécessaires pour combler les besoins de la chapelle. Les lettres patentes furent reçues le 9 mai 2000. La Fondation Saint- Bernard avait le mandat de procéder à des collectes de fonds pour défrayer certains coûts de réparations et d’opération de la Chapelle Saint-Bernard. Plusieurs per- sonnes se sont impliquées pour organiser des visites de maisons, des soupers, des bazaars, des ventes de produits maison (Péchés mignons), des concerts, etc. Ce sont ces personnes qui ont rendu possible la continuation des opérations de la Chapelle Saint-Bernard.
Le 9 septembre 2001, une soumission au montant de 37 000,00 $ fut reçue pour la réfection du toit de la chapelle et du presbytère et les travaux furent exécutés.
Le 16 décembre 2001, des discussions pour se procurer un orgue usagé eurent lieu. L’orgue de l’église Saint-Jean-Berchmans à Montréal étant à vendre, M. Alain Baungerten, spécialiste en orgue, nous fit une soumission pour l’achat, le transfert, la vérification et le remontage de l’orgue, le tout pour un montant de 49 363,00 $, plus les taxes applicables. L’achat de l’orgue fut annoncé le 18 août 2002, à l’occasion de la fête de Saint-Bernard. Le Regroupement des Amis de l’orgue fut alors fondé pour ramasser des fonds afin de défrayer les coûts du projet. Toute personne qui effectuait un don avait son nom inscrit sur un des tuyaux de l’orgue. Après plusieurs problèmes et délais de tous genres, l’orgue fut finalement mis en opération en mai 2004.
De 2004 à 2008, diverses réparations eurent lieu, et de nouveaux administrateurs remplacèrent les départs et les décès.
En octobre 2009, des démarches furent entreprises avec la MRC des Pays-d’en-Haut afin d’explorer la possibilité qu’elle prenne possession des locaux et accorde à la communauté un droit d’utilisation pour lieu de culte aussi longtemps qu’il y aura un besoin pour cette fonction. Ces démarches n’aboutirent pas. Compte tenu de la difficulté à trouver des prêtres pour desservir la chapelle, et aussi des problèmes de financement que les administrateurs n’arrivaient plus à résoudre, la chapelle dut cesser ses activités et fermer ses portes le 24 avril 2011, jour de Pâques.

LM-140-19




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