Fonds Chalet Cochand
- Mélanie Tremblay
- 26 juin
- 7 min de lecture
Par Michèle Dubuc, archiviste membre de la SHSME
Au début du XXe siècle, pratiquer le ski au Québec relève de la témérité. Il faut être audacieux pour se lancer sans technique avec un équipement rudimentaire sur des pentes enneigées. À l’été 1911, Lorne McGibbon qui possède un somptueux domaine à Sainte-Agathe-des-Monts demande au maître d’hôtel de l’hôtel Ritz- Carlton de Montréal de recruter en Suisse un instructeur de ski. À l’automne 1911, Émile Cochand, originaire du canton de Vaud, jeune champion et instructeur de ski dans l’armée suisse, arrive à Sainte-Agathe au Laurentide Inn « chargé d’une centaine de paires de skis et de bâtons, de six bobsleighs et de vingt luges »*. Il donne des cours aux clients de l’hôtel auxquels se joignent des membres du Montreal Ski Club. Cochand devient ainsi le premier véritable instructeur de ski dans les Laurentides et au Canada.
Au cours de la Première Guerre mondiale, la clientèle du Chalet Cochand diminue peu à peu, tant et si bien qu’Émile doit prendre le chemin de Montréal. Il trouve un emploi à la bijouterie Henry Birks où il confectionne des encadrements et des boîtes à bijoux. Il avait épousé en 1914 une compatriote Léa Berger. Émile et sa conjointe qui attendait un premier enfant ne voulaient pas vivre à Montréal. Ils profitèrent d’un congé pour visiter un ami, Jack Kerr à Sainte- Marguerite-Station. Une terre de 500 acres située à mi-chemin entre Sainte-Marguerite-Station et le village de Sainte- Marguerite-du-Lac-Masson était en vente. Sur le site se trouvaient un chalet d’été, une maison, une grange et deux lacs. Émile conclut qu’il pouvait y ouvrir un centre sportif. Il la loua donc avec option d’achat pour la somme de 500 $. Le chalet n’était doté ni d’eau courante ni d’électricité et les toilettes étaient à l’extérieur. Un poêle à bois servait de chauffage. En revanche, le chalet possédait une splendide véranda grillagée.

Le premier hiver fut difficile puisque de nombreux skieurs s’étaient enrôlés dans l’armée canadienne. Émile coupa et vendit du bois. Il réussit à opérer son auberge grâce à quelques membres du Montreal Ski Club. Lors- qu’Émile et Léa recevaient des clients, Cécile, une employée, apportait chaque matin un seau d’eau chaude dans chacune des chambres avant que les clients ne descendent pour déjeuner. Vider les pots de chambre faisait aussi partie de ses tâches.
En 1918, Émile acheta la propriété et agrandit l’auberge à laquelle il ajouta un étage tout en conservant la grande galerie. L’auberge comptait alors vingt chambres.


Les premières années ne furent pas de tout repos. Sou- vent lors de tempêtes de neige, le chalet était isolé, car la route entre la station de train et le Lac Masson était fermée. Chaque fermier devait ouvrir son bout de chemin devant sa propriété. Léa devait alors faire des prodiges pour nourrir les clients puisque l’approvisionnement se faisait à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.
En 1918, la grippe espagnole força les Cochand à fer- mer l’auberge durant quatre mois. Au cours de cette période, Émile coupa du bois autour du marécage qui se trouvait de l’autre côté de la route (aujourd’hui la route 370-chemin Pierre-Péladeau) et construisit un bar- rage afin de créer le lac Lucerne. Puis, il ouvrit des pistes et des pentes de ski.
L’année 1919 fut excellente. Plusieurs élèves des écoles Westmount High, Montreal High, Lower Canada College et Strathcona vinrent prendre des leçons de ski.
En 1920, un employé, chargé de changer la paille d’un matelas, la déposa dans le poêle à bois. Un incendie se déclara et l’auberge brûla de fond en comble. Émile et Léa reconstruisirent l’immeuble avec tous les services. Réputé pour sa bonne bouffe, son réseau de plus de 100 km de pistes de ski de fond, son anneau de pati- nage, ses deux sauts, ses pentes pour la luge et, surtout, pour son école de ski considérée comme la meil- leure dans les Laurentides, le Chalet Cochand remporta un succès immédiat.
En 1924, les tarifs d’hébergement s’élevaient à 5 $ par jour ou 25 $ pour une semaine. Il fallait ajouter 0.50 $ pour le transport de la gare au Chalet. Le Montreal Ski Club y établit ses quartiers au cours de l’hiver 1924.
La popularité croissante de l’auberge incita la famille Cochand à s’installer dans un chalet de style suisse éri- gé de l’autre côté de la route. Un petit coin de la grande salle servait de boutique pour la vente de tricots faits à la main. Les clients pouvaient commander tuques, mi- taines et même des chandails tout en choisissant les couleurs et les motifs.
Léa prenait les mesures, puis expédiait la laine à ses tricoteuses. Le tout revenait en peu de temps, à la grande satisfaction des clients.
Pour favoriser l’essor du Chalet et des sports d’hiver, Émile de même que Tom Wheeler et d’autres hôteliers de la région fondèrent la Laurentien Resorts Associa- tion. Très dynamique, cette association contribua pour beaucoup au développement de la villégiature dans les Laurentides en faisant de la publicité et des démonstrations de ski aux États-Unis.
En 1933, M. Lowell Thomas, commentateur de compéti- tions de ski, réalisa une émission radio en direct du solarium du Chalet Cochand.
En 1936, l’hôtel accueillait en moyenne 70 clients par jour. Léa se chargeait des repas et favorisait les mets traditionnels suisses. La fondue au fromage, une spécialité du Chalet, devint le mets favori des clients.
Chaque membre de la famille participa au développement du centre. Les fils d’Émile et de Léa, Louis et Émile dessinèrent des appareils qui s’ajustaient au câble du rope tow. Ils purent ainsi mettre en opération le premier J-Bar puis le premier T- Bar. Un troisième garçon Pierre entreprit la construction de chalets de style suisse. Il en bâtit plus de 300.

Au cours de l’été, l’auberge offrait des activités nombreuses et variées. On invitait les clients à venir jouer au golf et au tennis, à assister à des spectacles de ski nautique, à se baigner, à participer à des compétitions dans la piscine olympique, à faire de l’équitation ou en- core du tir à l’arc, au fusil ou au pistolet.
C’était la tradition de festoyer le jour de la fête nationale de la Suisse, le 1er août. La journée commençait très tôt le matin. Émile, dès 7 h, éveillait l’auberge en tirant des coups de fusil. Puis, l’accordéoniste faisait le tour des chambres en invitant les clients à l’accompagner. Tout au cours de la journée, les vacanciers aidaient à la décoration de la piscine, participaient aux courses, aux concours de souque à la corde ou de lutte suisse. Toutes les activités se déroulaient au son de l’accordéon et des chants yodlés. Venait ensuite la mascarade. Léa aidait les clients à se confectionner des costumes. Tout y passait : draperies, vieux chapeaux, abat-jours, etc. Dans la soirée, après le fameux souper buffet, on dansait et on chantait. À minuit, on allumait un immense feu de joie qui était suivi d’un feu d’artifice.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le Chalet Cochand devint le centre de divertissement des soldats cantonnés au domaine l’Estérel. Les dames organisaient des activités pour soutenir l’effort de guerre. Mrs W.R.G. Holt et Lady Morris trouvèrent des commanditaires prestigieux pour organiser des concours hippiques, des spectacles et des défilés de mode.
À la fin de la guerre, Émile vendit son entreprise à ses fils : Louis obtint l’hôtel, les chalets, le Restaurant Saint- Bernard ainsi que 300 acres de terrain. Quant à lui, Émile II reçut 600 acres de terrain, plus de 100 km de pistes de ski de fond et les pentes de ski alpin.
Au début des années 1950, Louis Cochand ouvrit derrière le Chalet une pente : la Swiss Hill qu’il équipa d’un T-Bar double et d’un télésiège. Au sommet de la pente, un restaurant, le Switzer Hut ouvrit ses portes. C’était la pente parfaite pour le ski de soirée, car les démonstrations de sauts et les descentes aux flambeaux pouvaient se voir de l’intérieur de l’hôtel. Louis ouvrit le Nikki’s bar, qui devint le lieu social des Laurentides par excellence.
De magnifiques chiens Saint-Bernard accueillaient les invités. L’un s’appelait Hansel et l’autre Gretel. Ils furent remplacés par Brock et Indy, puis par Brandy. Ces chiens portaient au cou le traditionnel petit baril. Les invités insistaient pour vérifier si le baril contenait bien de la boisson. Lorsqu’ils ouvraient le robinet, le liquide s’écoulait par terre. Émile décida bientôt de le remplir d’eau plutôt que de cognac. Il en coûtait ainsi moins cher.

À la fin des années 1950 prit fin l’harmonie qui régnait entre les deux frères Cochand. Par ailleurs, la venue de l’autoroute changea les habitudes des skieurs. Ils pouvaient venir dans le Nord pour une seule journée à la fois. Il n’était plus nécessaire de séjourner quelques jours pour pratiquer le ski.
Le propriétaire de l’hôtel, Louis ne vit pas venir le coup. Les exigences des visiteurs avaient beaucoup changé. Qui plus est, l’hôtel en bois devenait très coûteux à opérer. Il était trop petit pour recevoir des congrès, le coût des assurances étaient exorbitant, il aurait fallu installer des gicleurs et des salles de bains attenantes à chaque chambre… et quoi encore ?
L’hôtel continua de servir des repas relevés sous la gouverne du chef Ulric Lemieux, mais pour les skieurs, le temps passé sur les pentes était plus important que celui passé à la salle à dîner. Ils préféraient la cuisine rapide du restaurant au pied de la côte. Puis, une série de mauvaises saisons vint briser l’enthousiasme des Cochand.
En 1966, la Banque de Montréal saisit le complexe et trouva des acheteurs de Chicago, les frères Rizzos qui, à leur tour, trouvèrent difficile de l’opérer. En 1970, ils le revendirent à Yvan Coutu qui, avec l’aide du gouvernement du Québec, ouvrit l’hôtel aux écoliers. Toutefois, Coutu dut déclarer faillite à son tour. L’immeuble principal fut démoli en 1988. C’était la fin d’une époque.

Description de l’instrument de recherche
L’instrument de recherche du fonds Chalet Cochand a été élaboré conformément au niveau de description soit : le répertoire numérique simple. La description des documents audio visuels a été effectuée à partir des 25 bobines. Les films sont décrits en fonction de chacune des bobines. Le principe du respect interne du fonds ainsi que l’intégrité et le principe de provenance ont été respectés.
Lors de la création du fonds, un travail de transfert (numérisation) des vingt-cinq films 16 mm a été complété par un représentant de la Cinémathèque québécoise. Les films ont été transférés sur six vidéocassettes numériques, sur un disque dur. Dix DVD ont été gravés pour en faciliter le visionnement. Une copie des dix DVD a été remise à la donatrice Heidi Cochand, fille de Louis Cochand. Le répertoire a été complété le 27 octobre 2009. Il a été déposé par l’entremise de René Bauset aux archives de la Société d’histoire de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et d’Estérel. La donatrice n’a posé aucune restriction à la consultation du fonds.
* Soucy, Danielle (2009), Des traces dans la neige. Montréal ; La Presse, p. 49 Les 6 photos insérées dans ce texte proviennent des archives de René Bauset
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