Depuis «les chemins qui marchent»…
- Admin
- 4 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 juin

Notre chroniqueur Pierre Grignon nous invite à une réflexion, en deux volets, sur un aspect de notre histoire rarement abordé et pourtant essentiel : les voies, et les voix, de communication.
D’abord les routes libératrices, le chemin de fer, puis les canaux modernes qu’emprunteront la voix humaine, le téléphone, la radio, la télévision, le cinéma et les médias en général.
La suite dans notre prochain numéro. (Olivar Asselin, à la fermeture de son journal par le Clergé, avait signé son journal par le Clergé, avait signé son dernier éditorial: Au prochain cardinal…)
Une première libération des colons
L’expression est belle : les chemins qui marchent. Elle remonte aux temps anciens de la Nouvelle-France et traduit cette coutume immémoriale des Amérindiens d’imager le langage. Les chemins qui marchent, c’étaient les routes. Les Indiens parlaient avec leurs yeux, à partir de ce qu’ils voyaient, de ce que la nature et la vie leur montraient.
Il n’est pas faux de dire que toutes les langues ont connu une telle naissance où les mots collaient intimement à la réalité qu’ils devaient exprimer. Ce fut d’ailleurs aussi la fonction première de l’écriture, de toute langue écrite, de rendre très fidèlement, et très simplement, les formes orales existantes au moment où l’on a commencé à les écrire. À les «transcrire» en fait.
Ce sont les élites intellectuelles, les académiciens, les grammairiens et les lexicographes, ceux qui font les dictionnaires, qui ont fixé la langue écrite, d’abord fidèle à la tradition orale puis de plus en plus figée dans sa forme écrite par rapport à la langue parlée, vivante et en constante mutation. Le français et l’anglais en sont de précieux exemples.
Churchill ne disait-il pas un jour que
«l’anglais est une langue qu’il est très facile de mal parler». Beaucoup de sagesse dans ce qui semblera une boutade aux yeux de nos « parfabilingues ».
Les Cantons du Nord ont cheminé péniblement et leur transformation profonde tient avant tout aux progrès considérables des voies de communication. Les mauvais chemins, quand il y avait des chemins, ont confiné nos ancêtres à leurs lots, puis à leur paroisse pour, peu à peu, les rattacher au village et aux centres d’activité économique. Ce n’est pas par hasard que les villages et les villes qui ont connu un certain essor se sont établis le long des voies navigables. Les portages contournaient les rapides, les chutes et les obstacles, imposant aux «voyageurs» de lourds sacrifices. Les «voyageurs» ont longtemps constitué un corps d’élite chez les courageux coureurs des bois. Francine Ouellette a écrit des pages d’anthologie sur ces valeureux «voyageurs» dans les Pays- d’en-Haut du Régime français, et qui n’étaient pas au nord de Montréal…
Le train du nord, arrivé à Sainte-Adèle en 1891, quelques mois après la mort du curé Labelle, faisait une première brèche à un demi-siècle d’isolement des paroisses et des villages. Son impact sur le plan humain fut déterminant. Il apportait enfin l’espoir d’une vie sociale et économique en lien avec la civilisation. On pouvait enfin écouler ses denrées et se procurer les produits de première nécessité. L’éventail des soins médicaux se déployait enfin, au même titre que les liens avec la famille jusque-là rarissimes. La poésie nostalgie des trains de skieurs a son charme, mais le Train du Nord avait brisé les chaînes qui avaient tenu nos ancêtres prisonniers de leurs lots de misère.
Un réseau routier digne de ce nom n’allait à son tour marquer le développement de nombreuses communautés que beaucoup plus tard. Des générations entières ont dû attendre chaque année le gel qui rendait les chemins, ou plutôt les pistes praticables. Puis la débâcle des rivières pour naviguer puisque le printemps transformait tout sentier en vase inaccessible. S’il est dans nos gènes de sacrer contre les mauvais chemins, nous le tenons sans doute de nos ancêtres dont c’était l’entrave la plus nette à leur liberté.
L’exemple du tracé de la célèbre Route 11 suffit à comprendre l’essor touristique de villages comme Sainte-Adèle, traversé en plein centre de son territoire par cette route nationale. Il fut un temps où le tourisme florissant se trouvait à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson parce que c’est là que passait la route principale vers le nord. Une villégiature et une activité hôtelière luxueuse ont marqué toute une époque autour du lac Masson, bien avant Sainte-Adèle et Saint-Sauveur, pour n’en nommer que deux. La Route 11, devenue la 117, a littéralement canalisé une part très importante du tourisme le long de son parcours. Un véritable corridor de la prospérité. L’Autoroute des Laurentides, au tout début des années soixante, a eu un effet multiplicateur, étant parallèle à la 117. J’ai écrit déjà, dans les pages de La mémoire, que la construction de l’Autoroute avait coupé en son centre le territoire agricole de Sainte-Adèle, transformant du même coup un patrimoine et son paysage bucolique. Nos ancêtres de Saint-Sauveur et de Sainte-Adèle en perdraient leur latin (de cuisine) si quelque esprit malveillant les ramenait sur Terre. Ces anciens habitants chercheraient en vain leurs terres sur cette Terre.

LM-111-20
Comments