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Chez Claude-Henri Grignon «Le lion du Nord»

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    Admin
  • 9 juin
  • 5 min de lecture

Robert-W. Brisebois Membre # 144
Robert-W. Brisebois Membre # 144

Un soir d’hiver l956, je téléphone à Claude-Henri Grignon, à sa résidence de Sainte-Adèle, et je sollicite un rendez-vous. J’ai le droit à une riposte bourrue. Un blanc-bec ne trouble pas la paix du lion. Le rencontrer... Pourquoi ? Pris par surprise, je ne sais plus comment aborder ce rugissant roi du Nord.


J’ai l’intention... j’aimerais écrire un article sur sa carrière d’écrivain, ses projets... c’est pour le journal « Le Samedi ». Il accepte. Nous prenons date pour le dimanche suivant à 6 heures du soir. Ouf ! je me sens soulagé. Et puis cela tombe bien. Je fais de l’après-ski les week-ends, dans un chalet situé à cinq minutes de marche de la rue Morin, où habite Grignon.


L’heure de la rencontre


Le dimanche suivant, un bloc de sténo enfoui au fond de mon anorak, je me pointe chez l’auteur de Un homme et son péché et de Les Belles Histoires. Il est aussi l’auteur des Pamphlets de Valdombre dont je me suis tapé la lecture de quelques numéros au cours de la semaine.


Pour un jeune pigiste, l’homme ne manque pas d’intérêt : journaliste de combat, pamphlétaire et auteur d’une histoire qui s’étire depuis près de 20 ans. Il est aussi le maître du suspense à la radio.


«Écoute-moé ben, Donalda, j’ai quecque chose d’important à t’dire....». Suivait alors une musique langoureuse, accompagnée d’une voix caverneuse qui invitait l’auditeur à ne pas manquer l’épisode du lendemain, à la même heure, au même « poste ».


La maison de bois de la rue Morin est modeste et accueillante. Grignon me reçoit simplement, sans mépris comme sans ménagement, avec une indifférence tranquille où perce discrètement une pointe de complaisance ironique. Au premier abord, je le trouve plus archaïque que je l’avais imaginé. Vieilli dans l’écriture, il semble avoir attrapé, avec le temps, un maniérisme et une austérité de profession. Je croise au passage madame Grignon et une autre dame qui se bercent tranquillement en silence. Elles ont l’air de guetter l’ours qui passe. Le regard buté et le bras robuste, madame Grignon n’a sûrement pas inspiré le personnage de Donalda.



Par un escalier abrupt, sans garde-fou, Grignon me conduit au grenier. Le repaire est sombre et exigu. C’est là qu’il écrit. Je trouve que ça manque d’air et de lumière. Les bonnes idées, comme les odeurs de poisson, réclament pourtant de la ventilation.

Se pourrait-il qu’il cache en ce lieu des sacs remplis d’or, comme Séraphin ? Après avoir scruté tous les recoins de l’antre, mon regard dérive sur sa table de travail. Je me dis, tiens ! C’est là qu’il cache son or, dans les mots couchés pêle-mêle sur de grandes feuilles jaunes où repose le manuscrit d’un prochain épisode de son feuilleton télévisé.


 

Grignon a une tête de fauve en cage. Des mèches soyeuses de cheveux blancs recouvrent des pattes-d’oie burinées à l’angle des yeux. Et les entailles profondes qui cernent sa bouche accusent la dureté de ses traits. L’homme a toujours été vieux, me dis-je. J’étais curieux de rencontrer cet écrivain impétueux. Célèbre, à n'en pas douter, mais encore moins que les personnages qu’il a créés. C’est fait. Maintenant, je ne sais pas trop comment amorcer cet entretien. C’est lui qui brise la glace.


Précieux conseils et manières de faire


Il me donne des conseils de gourou pour jeune journaliste. Des conseils inconfortables dans le métier que j'exerce à titre de débutant. Selon lui, il faut se vider le cœur tous les matins avant le déjeuner, livrer une guerre sans merci à la canaille et à la bêtise puis tenir pour acquis, au bout du compte, que le nombre de nos amis se soustrait et que celui de nos ennemis se multiplie.


Grignon donna ses premières mornifles de pamphlétaire au journal « La Minerve », avec Léon Gauthier, au début des années 1920. Il cravacha à peu près tout le monde à coups de plume tranchante. Gauthier et lui partageaient la même parenté d’horreur pour la prose molasse et se rinçaient le gosier de libelles superfétatoires. Il lui arriva de salir avec ses sabots le sentier bichonné des bonnes manières bourgeoises de l’époque. Il n’avait ni regret ni remords. «Alibidineux», son jeune âge lui servait d’alibi.


La paysannerie et Duplessis


À mesure que l’entretien se prolonge, le ton de Grignon s'enflamme. Sa voix vinaigrée a des accents de matou irrité. Nous passons du coq-à-l’âne, soit de la paysannerie à Maurice Duplessis.


Grignon est paysan, plus par affection que par profession. Il est terrien sans être cul-terreux ; homme de la campagne sans être glaiseux pour autant. Farouche partisan de la colonisation du curé Labelle sur les terres caillouteuses des Hautes-Laurentides, il a des réflexes de colonisé et des ambitions de colonisateur. Il faut s'emparer du sol et vivre des fruits de la terre. Vivre maigre n’est pas important, mais mourir fier est rassurant.



Duplessis fut une grande déception. Il a pris le pouvoir en l936 sur la promesse d’un Québec meilleur, voué aux intérêts des Canadiens français et dévoué à une jeunesse jusque-là mal équipée pour faire face à l’avenir. Une fois les promesses de Duplessis tombées en désuétudes, l’optimisme dégrisé de Grignon fait place au désarroi. Le pamphlétaire est déçu. C’est la paralysie du pouvoir. Les forces anonymes derrière les pressions politiques décident de tout. La jeunesse de ce pays est flouée par un premier ministre qui s'est offert au plus offrant. Le char de l’État est encore une fois enlisé dans les ornières des régimes précédents, à la merci des puissances de l’argent incarnées par de riches Anglais intraitables.


Maurice Duplessis (Grignon écrit Sir Morris Douplaysee) a vite changé de camp une fois au pouvoir.


Nouvelle orientation


En 1956, Duplessis est ventripotent et omnipotent. Les lanières de l’invective de Grignon servent à fouetter d’autres chats. Il est occupé à fustiger l’avarice. Cela occupe tout son temps et remplit ses coffres. S’attaquer aux trahisons des politiciens en place ? Une perte de temps et un sort contraire à une profitable trésorerie.


Grignon avait lu Léon Bloy. Il avait pour cet auteur français du siècle dernier une considération de complice. Les deux écrivains partageaient une même vision de la civilisation qui les rapprochait dans une parenté de polémiste vigoureux et acerbe. Le créateur de Séraphin avait, depuis longtemps, déclaré la guerre à son propre temps, et il tenait des propos d’un entrepreneur en démolition de la société. Homme d’écriture, condamné depuis longtemps à vivre dans un monde qui boudait sa rigueur de courriériste, Grignon s’était réfugié dans le feuilleton.

Finis les pamphlets ?

Jouer au journaliste, c’est poser des questions. J’en risquais une sans trop savoir où cela me conduirait.


–     Depuis vingt ans que vos histoires tournent à la radio, puis à la télévision, vous n’avez rien écrit d’autre. Songez-vous à revenir au roman ou au pamphlet ?


–     Jamais ! me lança-t-il. Tu m’entends bien. Jamais ! Au temps des pamphlets de Valdombre, je travaillais dix heures par jour, sept jours par semaine à écrire des articles, répondre au courrier, trouver des sous pour payer l’imprimeur, puis courir chez les libraires pour exposer mes pamphlets. Mais, le plus désolant, ce fut lorsque je frappai aux portes des collèges classiques pour convaincre les bons pères de s’abonner à mes pamphlets afin que leurs élèves puissent avoir l’occasion de se familiariser avec de nouvelles idées. Peine perdue ! Ça coûtait deux piastres par année pour un abonnement, mais les pères trouvaient que c’était trop cher. Penses-tu ? Ils avaient surtout peur que leurs jeunes élèves soient contaminés par mes écrits. Puis un jour j’en ai eu assez. J’ai laissé tomber les pamphlets et j’ai écrit une histoire contre l’avarice. Depuis ce temps, je fais vivre des personnages qui resteront marqués pour longtemps dans l’imaginaire des Canadiens français.

Soudain, Grignon prit le gros Larousse sur sa table de travail. Il le feuilleta de ses gros doigts d’écrivain, et me braqua sous les yeux la page ouverte au mot qu’il venait de trouver en me lançant :


–   Tu vois, lis ce qui est écrit : Séraphin, avare. Le personnage que j’ai créé est maintenant dans le dictionnaire. Que veux-tu de plus ?

Rien ! En principe, j’étais comblé. Je venais de passer une heure fantastique. J’avais aussi compris comment le nom propre d’un personnage de fiction, Séraphin, pouvait devenir un nom commun qui s’écrivait sans majuscule.



Rien ! En principe, j’étais comblé. Je venais de passer une heure fantastique. J’avais aussi compris comment le nom propre d’un personnage de fiction, Séraphin, pouvait devenir un nom commun qui s’écrivait sans majuscule.


« Les belles histoires des Pays-d’en-Haut » mettant en vedette

Jean-Pierre Masson (dans le rôle de Séraphin),

Andrée Champagne et Guy Provost.



























LM-117-25


 
 
 

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