Au temps du P'tit Train du Nord à Sainte-Adèle
- Mélanie Tremblay
- 13 nov.
- 21 min de lecture
Par Lucien Dubé, Victor Lavoie
Victor Lavoie rencontre pour vous monsieur Lucien Dubé à sa résidence, au numéro 840 de la rue Dubé à Sainte-Adèle. Rencontre agréable s'il en est ! Une mine de souvenirs précieux sur la vie de Sainte-Adèle il y a quelques générations. Monsieur Lucien Dubé est un observateur attentif, il possède une mémoire des noms et des situations et surtout des atmosphères qui nous semble exceptionnelle.
Madame Dubé dont le nom de fille est Marcelle Latour se joint à nous durant une partie de la rencontre. Sa connaissance du secteur Saint-Sauveur et Piedmont est exceptionnelle.
Au fil des mots, surgissent des souvenirs, s'imposent des noms et des dates que l'excellent conteur qu'est monsieur Lucien Dubé fait vivre «comme si on y était».
Aux trois personnes présentes, une discussion de ce type impose un constat : « le monde qui nous revient quand on revit le temps du p'tit train du Nord, surtout à ses débuts, est un monde tout autre ! Il a vraiment peu de points de ressemblance avec le nôtre...» Constatez plutôt, pendant que je laisse parler monsieur Dubé.
Le train, le spectacle des villages
«Les trains avaient d'habitude des horaires assez fixes et nous suivions leurs évolutions comme on assiste à un spectacle. Je me rappelle encore des heures de départ et d'arrivée de plusieurs de ces trains.
Le Canadien Pacifique avait un train qui descendait à Montréal avec départ de Mont-Rolland à 6 heures î 5 minutes le matin. Le train qui transportait la malle et des passagers et qui montait vers Mont-Laurier arrivait à 10 heures 1O. Un autre train pour Montréal partait à 5 heures et 3 minutes dans l'après midi. Le second train qui allait à Mont-Laurier arrêtait à Mont-Rolland à sept heures du soir. À la fin des années trente, début des années quarante il y avait un train de minuit qui montait jusqu'à Sainte-Agathe ou Saint-Jovite.

Des pleins chars de touristes
Mais l'arrivée du ski devait bouleverser tout cet horaire tranquille. Les fins de semaines.les trains se multipliaient. Le samedi matin deux trains se suivaient de très proche : dix heures et dix heures trente. Le samedi après-midi trois trains arrivaient presqu'ensemble à trois heures, et le soir, à huit heures, trois autres trains absolument paquetés dur de skieurs entraient en gare.
Le dimanche matin, ça continuait de plus belle. Trois autres trains arrivaient à 9 heures 30, 10 heures et 10 heures 30.
On ne peut pas dire que tout le monde, au début du moins, aimait ces «paletteux» énervés qui pouvaient vous flanquer leurs «palettes» dans la figure quand vous les rencontriez sur les trottoirs étroits. Mais tout le monde y a mis du sien car l'arrivée de ces milliers de sportifs a vite été perçu comme l'occasion que le curé Labelle avait annoncée: «des pleins chars de touristes».
Tout ce beau monde repartait à compter de 4 heures; à toutes les heures, jusqu'à 9 heures un train partait, emportant son chargement bruyant et joyeux de skieurs aux poumons purifiés.
La compagnie de chemin de fer encourageait le p'tit train du Nord en diminuant ses tarifs de fin de semaine. On venait ainsi et on retournait à Montréal pour 1,50 $ au lieu du 2,10 $ habituels. Quant au billet pour aller à Saint-Jérôme, il
était descendu à 50 sous au lieu des 90 sous du tarif de la semaine.
Les premiers skieurs parlaient anglais
Au début, il y avait beaucoup d'Anglais parmi ces skieurs. Petit à petit, le nombre de francophones a augmenté, mais nous avons longtemps gardé le vocabulaire anglais pour toutes nos conversations sur le ski. Pour être authentique, c'est ce vocabulaire que j'emploie. Nous avions beaucoup de respect pour l'efficacité qui présidait à l'organisation de ce sport.
J'ai encore un petit cahier, financé par la compagnie Sweet Caporal qui explique le trajet de la trail Map/e Leaf en partant des hauts de Saint-Jovite jusqu'à Shawbridge.

Les Cochand
Ce que faisaient les skieurs en arrivant? Partons avec eux de la gare de Sainte Adèle située. comme chacun le sait, à l'intérieur de la paroisse de Sainte-Adèle maîs qui portait le nom de Sainte-Marguerite Station.
Plusieurs se dirigent vers le Chalet Cochand où se trouvait le tout premier centre de ski de la paroisse de Sainte-Adèle. Cet établissement de haut prestige était bâti à la limite des municipalités de la paroisse de Sainte-Adèle et de Sainte Marguerite. La salle à manger était dans une municipalité et le bar, dans rautre. Comme le Cahier d'histoire où vous lirez cette entrevue contiendra un article sur les Cochand. je ne parlerai pas de monsieur Émile Cochandl de messieurs Louis-Émile et P\erre1 de tous les Cochand qui ont été de remarquables skieurs. L1hôtel lui même était une institution haut de gamme. C'est cette dynastie qui a largement contribué à la création non seulement de centres de ski alpin mais aussi à la présence de la fameuse Map/e Leaf Trail en engageant toute une série d1experts dont le fameux Jackrabbit Johannsen. Ce dernier. tout dévoué au ski de randonnée venait souvent chez moi quand j'avais ma boutique. Il était grand parleur, efficace et très sympathique.

Vers le village de Sainte-Adèle
Ceux qui se dirigeaient vers le village de Sainte-Adèle chaussaient aussi leurs skis. On descendait la côte actuelle du Alpine Inn soit sur le chemin enneigé pour les plus habiles, soit, pour le plus grand nombre, sur l'emprise du chemin. On traversait la terre de monsieur Arcade Desjardins1 puis celle de monsieur Rodrigue Campeau, celle de son frère Félix Campeau où on retrouve maintenant la Clé des Champs et l'ancien restaurant de monsieur McDuff.
Monsieur Félix Campeau avait hérité de la terre paternelle de monsieur Jos Campeau2.
On traversait ensuite la terre de monsieur Armand Marinier où on bâtit actuellement un nouveau développement. Monsieur Roland Uboiron avait aussi sa maison (qui existe encore) sur une partie de cette terre.
On était alors rendu chez monsieur Damase Guesthier dont plusieurs descendants habitent encore Sainte-Adèle3. Cette terre a été partiellement expropriée par l'office des Autoro.
Note de l'interviewer. C'était le beau père de madame Lucienne Desjardins, (Grand-mère LulL comme l'appelaient affectueusement plusieurs personnes du 1Oème Rang, imitant ainsi ses nombreux petits enfants), la soeur de monsieur Léopold Desjardins. Elle avait épousé un autre Desjardins, René, fils d'Arcade.
Les anciens pensaient que monsieur Claude-Henri Grignon aurait brodé ses belles histoires des Pays d'en Haut à partir des caractères bien trempés de monsieur Arcade Desjardins, de monsieur Israël Bélair, de monsieur Jos Campeau et de monsieur Johnny Locas. C'est sur cette terre que monsieur Émile Guesthier a été élevé.
2 Monsieur Félix Campeau était un vieux garçon. Avec ses soeurs Carolyne et Marie-Rose, il a élevé Paul-Émile Courtemanche dont une des filles est mariée avec monsieur Raymond Masse qui a dirigé la Pointe Bleue, la grande institution de Sainte-Marguerite.
3 C'était le père de mademoiselle Aline Guesthier qui a eu une carrière magnifique de plus de quarante ans comme enseignante. Très compétente et bien aimée de tous, elle continue sa vie besogneuse très attachée à sa famille. C'était également le père d'Émile, de Laurent, de deux religieuses de la Providence dont une, soeur Laurent est toujours vivante, a près de quatre-vingt ans et vient souvent à Sainte-Adèle voir Aline et sa famille. Monsieur Émile Guesthier est le père d'André, de Jean-Paul, de Maurice (propriétaire de la compagnie de câble pour la retransmission TV), et de notre ami de la chorale, Jacques.
On arrivait ainsi aux limites de la parois-se et du village de Sainte-Adèle. Restait la terre de monsieur Jos Legault qui sera plus tard achetée par monsieur Lionel Patry. La clinique médicale se trouve maintenant sur cette terre.
Également celle de monsieur Georges Legault {qu'il vendra à son neveu. monsieur Émile Legault) où est bâtie l'école Saint-Joseph et qui s'étendait jusqu'à une partie des terrains des Soeurs de la Congrégation.
Ce terrain des Soeurs de la Congrégation avait été acheté en partie de monsieur Georges Legault et en partie de monsieur Jean-Baptiste Gauthier par Mgr Gauthier, archevêque de Montréal ,our y bâtir une maison d'été. Par la suite, cette résidence fut transformée en foyer. C'est mon arrière grand-père, Fabien Dubé qui était concierge dans cette institution.
Le reste de la terre de monsieur Jean-Baptiste Gauthier devait être vendu à monsieur Conrad Barbeau, beau-père de mon.sieur Maurice Lupien.
Voisin de ce terrain, la terre de monsieur Anthime Valiquette qui faisait paître ses vaches où se trouve maintenant la rue Sigouin.5
On quittait la paroisse de Sainte-Adèle en montant la colline où se trouve maintenant la rue de la Colline et le monastère des Soeurs de l'Amour infini sous l'obédience du Père Jean. Maintenant boisée de sapinages, cett-9 co.lline était défrichée et continuait sa descente au-dessus de la 117 actuelle (le' tracé de la route d'alors suivait la rue Valiquette) et on arrivait à l'hôtel Granger et du village de Sainte-Adèle. Là, on rejoignait la cohorte importante des touristes venus par l'autre gare, celle de Mont-Rolland.
4 Quand Émile, le plus vieux des garçons vivants s'est marié, il a eu une partie de la terre dont nous parlons. Émile avait été élevé un peu plus loin, sur la terre où a existé l'hôtel Alpine. Inn. L'autre partie de la terre est allée plus tard à Laurent qui demeure toujours là.
5 C'est à l'est de ce terrain des religieuses que se trouvait la terre de monsieur Paul Valiquette mort il y a trois ou quatre ans seulement. Cette terre était l'ancienne ferme expérimentale ,:iu docteur Wilfrid Grignon.
L1hôtel Granger fut vendu en 1934-35 à monsieur Lester Laliberté, le père de monsieur Roland Laliberté qui a eu cet hôtel durant au moins 30 ans et qui vit encore. La soeur de Roland était mariée à monsieur Armand Gravel. Lui est décédé il y a deux ou trois ans elle demeure toujours à Sainte-Adèlel rue de la Montagne. Une autre de leur soeur est madame Paul Johannette6.
Donc, la majorité des skieurs mangent une croûte à l'hôtel Granger ou plus tard, à la salle à manger de l'hôtel Laliberté, ou bien au restaurant tenu par monsieur Normand Faubert et propriété de la famille Karabian ou au restaurant de monsieur Sigefroîd Desjardins qui était aussi propriétaire de la boulangerie du même nom. 7 Certains préféraient se rendre, plus haut dans la côte, au Ste. Adele Lodge ou au restaurant de monsieur Arthur Patry, le frère de monsieur Lionel Patry dont le parc près du lac Rond, tout près, porte le nom. On monte alors à pieds, les skis sur l'épaule, la rue Saint-Hyacinthe (aujourd'hui la rue Morin)8.

Latrail Maple Leaf
Rendus à une rue sans nom officîel mais que l1on appelait rue de l'église (aujourd1huî la rue Beauchamp)9, chacun chaussait ses skis. On arrivait bientôt, entre l'église et le presbytère 10, à une entrée de la trail Maple Leaf.

9 Note de l'inteviewer. la raison de cette appellation est discutée. Plusieurs noms toponymiques de Sainte-Adèle ont ainsi besoin qu'on précise leur origine. La Société d'Histoire a commencé un travail qui aurait besoin de collaborateurs qui ont connu les premiers temps de Sainte-Adèle.
10 L'église était à son emplacement actuel. le presbytère était à la place du stationnement actuel.
De là, la trail continuait en biais sur les terres. Au début, les cultivateurs s'enrageaient contre les «briseux» de clôture, mais la mode aidant, on s'adapta vite et on 'fit ce qu'il fallait pour profiter de la situation. Ce qui était heureux, car la trail traversait un nombre impressionnant de terres.
D'abord la terre de monsieur Zoël Lamoureux le bon vivant et le joueur de tours. C'est le grand-père de Marcelle, ma femme. Il vivait dans l'ancienne grande maison de monsieur Norbert Morin où il tiendra bientôt pension. La clientèle de la maison de pension, d'abord canadienne ou américaine mais peu nombreuse. fut remplacée par une clientèle juive : jusqu'à 75 dîneurs en fin de semaine l'été, environ 45 en semaine.
La trail continuait sur les terres de monsieur Jean-Baptiste Latour, cousin du père de Marcelle, de monsieur Eustache de Repentigny, le père de monsieur Paul de Repentigny qui a fait longtemps du taxi à Sainte-Adèle.
On arrivait chez le père de Marcelle, monsieur Paul Latour. L'été, la famille Latour avait une petite maison, bien finie à l'extérieur, où se faisait le cannage des fruits et légumes des grands jardins. Monsieur Latour eut l'idée de mettre cette maison d'environ dix pieds sur douze sur des patins de six pouces carrés de coupe et de la longueur nécessaire. L'automne, on traînait ainsi le futur restaurant sur un cinq ou six cents pieds le long de la trail, en plein champ.
Il y avait là un poële à bois et une tablette le long du mur où l'on pouvait manger debout si on voulait entrer. Un carreau permettait de servir ceux qui ne voulaient pas enlever leurs skis ou qui préféraient manger dehors.
Un rideau cachait les victuailles empilées sur une série de tablettes. Marcelle se rappelle d'avoir ainsi vendu sandwiches, tartes et tourtières, chocolat, gâteau, cigarettes, lait et 7up 11.
11 À la question «Y avait pas aussi des petits spéciaux?» Marcelle comprend vite qu'il se serait agi de boissons plus fortes. Son père n'aurait jamais voulu ça et n'y a sans doute pas pensé.

Presque tout le monde s'arrêtait ainsi chez les Latour. On continuait ensuite sur la terre de monsieur Émile Forget dont la maison paternelle était l'actuelle ébénîsterie à toit bleu de monsieur Serge Staub.
Cette terre ainsi que sa voisine qui appartenait à monsieur Albert Forget constituent maintenant le domaine du Mont Gabriel.
On arrivait ensuite à rancienne terre de monsieur Donat Legault, dont la femme était la soeur de monsieur Zoël Lamoureux) grand-père de Marcelle. Cette terre avait été rachetée par monsieur Rosaire Campeau frère de madame Jeannine Campeau-Desjardlns, de Réal, de Jean-Louis. C'était le père de Yves12, de Robert et de Marc Campeau entre autres. Cette terre fut ultérieurement vendue à monsieur Albert Forget.
12 Yves et Jeannîne, un fils et une soeur de monsieur Campeau sont membres, avec les participants à la rencontre, de la chorale paroissiale de Salnte-Adèle.
La terre suivante était celle de monsieur Maxime Brazeau qui vit encore à Saint Sauveur-des-Monts. Sur cette terre il y avait une fourche dans la trail.
Ceux qui voulaient reprendre le train à Piedmont passaient par la terre de monsieur Lalande où se trouve actuellement le Totem et le Motel bâti par monsieur Sauvageau.
Avant d'arriver à la gare, on traversait enfin la terre de monsieur Aldéric Saint Denis Trottier dont l'épouse, Donalda, était la tante de Marcelle. Leur fils l'abbé Yvon Trottier est prêtre dans le diocèse de Mont-Laurier.
Ceux qui allaient à Saint-Sauveur, quant à eux, fourchaient à droite, traversaient les terres de messieurs Legault, Wilfrid et Henri, puis celle de monsieur Léopold Cyr, beau-frère de monsieur Albert Forget, surnommé « Ti jeune» pour le distinguer d'un autre Albert Forget qui demeurait à Piedmont. Il avait eu deux enfants: Jeannette, mariée à monsieur Réal Saint-Aubin (pas le policier) et Jean. Il a été maire de Saint-Sauveur.13
On était alors à deux pas de la gare du Canadien National où plusieurs empruntaient le train. D'autres continuaient jusqu'à Shawbridge sur la même trail.
Un bouleversement total
L'arrivée de ces milliers de skieurs a donc bouleversé la vie paisible des pays d'en haut, presqu'autant que l'arrivée du train qui avait été un véritable changement de société. La gare était le lieu de prédilection où l'on allait aux nouvelles ou tout simplement voir arriver les trains.
13 La terre de monsieur Léopold Cyr se rendait jusqu'à l'église et juxtait le terrain du chalet Pauline Vanier où la Société d'Histoire a maintenant ses bureaux.
Mais les foules de skieurs qui surgissaient des wagons surchargés rendaient le spectacle encore plus extraordinaire ! Aussi, tous les samedis soirs durant l'hiver, on descendait à Mont-Rolland les voir arriver et se sentir partie du spectacle bruyant des dizaines de carrioles de toutes les sortes qui offraient leurs services pour amener tout ce beau monde à Sainte-Adèle.
Monsieur Adélard Marin14 avait ainsi trois teams et trois sleighs, une carriole où pouvaient embarquer six personnes et leur cocher et qui était tirée par deux chevaux, un simple rack sleigh qui pouvait accueillir quatre passagers, avec lequel il transportait la malle et qui était tiré par un seul cheval. Plus tard, c'est monsieur Charles Plouffe15 a pris la succession de monsieur Marin qui est décédé au mois d'avril 1940, il possédait déjà, au moment où on se situe, une sleigh double et une carriole.
Monsieur Adélard Godemer avait également trois teams et trois sleighs, une carriole double et un rack sleigh. Monsieur Godemer est le père de Ti-Blanc, d'Émilien et de Germaine. Je me rappelle qu'un autre fils, Charles {surnommé Bocorne) m'a joyeusement flambé les cheveux durant la procession de la Chandeleur. La procession, rendue derrière l'église, ralentissait avant de reprendre la grande allée... Charles a alors élevé sa chandelle et mes cheveux ont ·Hambé. Je vous dis qu'on se démène dans ce temps-là !

14 Monsieur Adélard Marin est le père de madame Lessard, mère de Guy et Jacques, les coiffeurs, de madame Ghyslaine Théoret, épouse de monsieur Guy Théorat, de madame Claire Choquette, épouse de monsieur Jacques Choquette qui a été agent d'assurance pour la Métropolitaine. Ceux ci sont les parents de Daniel, agent de bord chez Air Canada et époux de la chanteuse Sylvie Boucher, d'Alain, le fameux magicien de Télémétropole, et de Marc qui a pris la succession de son père.
15 C'est le père de madame Eddy Fortier, bien connu des sportifs et propriétaire d'un hôtel à Mont Rolland et qui est décédé vendredi 22 janvier 1993.
Monsieur Émile Guesthier avait aussi au moins deux sleighs doubles, ce qui ne surprendra pas les personnes qui connaissent ses fils André et Jean-Paul .16
Beaucoup d'autres cultivateurs avaient ainsi diversifié leur entreprise et accouraient à la gare. Je me souviens d'en avoir compté 52 à Mont-Rolland venant de Sainte-Adèle pour y amener les skieurs.
Je puis donc vous en nommer quelques-uns : messieurs Laurent Guesthier, Paul Valiquette, Ernest Beauchamp17, Fernand Desjardins, Omer Beauchamp, le père des Beauchamp qui demeurent dans le dixième rang, Arthur Latreille18, le père de monsieur Eugène Latreille, bâtisseur de maisons et ancien commissaire d'écoles et de Paul, entrepreneur électricien, qui demeure maintenant à Saint Jovite, et René Desjardins dont nous avons parlé plus haut.
Monsieur Édouard Groulx, père de monsieur Arthur Groulx qui demeure sur la rue Desjardins à Sainte-Adèle possédait aussi trois teams et trois sleighs. Monsieur Paul Groulx, qui demeurait assez loin sur le chemin du lac Matley (le rang des Groulx) venait aussi. Son père, monsieur Midas Groulx qui demeurait dans la maison actuelle de monsieur Jean-Guy Groulx, sur la rue Beauchamp, près de la Villa des Pins, lui permettait de loger ses chevaux dans son écurie pour les fins de semaine.
Tous ces gens-là faisaient faire leurs boites de sleighs chez le forgeron, monsieur Manette qui tenait boutique dans le local voisin du bureau de poste actuel.
Mais celui de ces cultivateurs qui m'intéressait le plus, c'était monsieur Léo Lamoureux qui demeurait sur la terre où se trouve maintenant l'école secondaire
16 C'est le père d'André, de Jean-Paul, de Maurice, propriétaire de la compagnie de distribution de signal vidéo par câble, de Jacques et de cinq filles, dont nous avons parlé plus haut.
17 Il demeurait dans la maison où vit maintenant la famille Rodrigue bien connue pour sa participation
à la vie paroissiale de Sainte-Adèle.
18 C'est aussi le grand-père par madame Piché de Monique Piché qui travaille à la Municipalité.
Augustin-Norbert Morin. Il avait un team de chevaux qui, contrairement à la plupart des autres, n'avaient pas peur des sifflements et des cris des trains qui entraient en gare.
Je me rendais souvent, comme je l'ai dit, à la gare de Mont-Rolland, monsieur Lamoureux me disait «mon Dubé, veux-tu conduire les chevaux?». J'y allais avec plaisir, à dix-huit dix-neuf ans, on aime ça ! Et je conduisais mon attelage le plus près possible du quai de débarquement. Les chevaux piaffaient pour ne pas geler, il y avait parfois des discussions fermes pour les places bien que, généralement, c'était la loi du premier rendu premier installé. Mais quand il y avait plus de cinquante attelages, tout n'était pas toujours évident.
Que je sois là aidait beaucoup monsieur Lamoureux qui pouvait se consacrer à l'accueil des gens, voir à ce que toutes les places soient vendues, et, comme on payait à l'arrivée, s'assurer que ses hôtes ne lui brûlaient pas la politesse en sautant tout simplement par-dessus bord quand on approchait de la destination. Il s'installait donc derrière la sleigh, en principe pour accueillir et aider les skieurs mais en fait pour contrôler le paiement du 25t. Les autres conducteurs, occupés à maîtriser leurs chevaux, ne pouvaient pas grand-chose contre le joyeux bonhomme qui avait ses skis à Sainte-Adèle et qui sautait dans la neige près du Ste. Adele Lodge.
À force de côtoyer l'oncle...
Je ne connaissais pas encore Marcelle à ce moment-là. Je m'entendais bien avec Léa qui avait presque notre âge étant le plus jeune des oncles de Marcelle. C'était un vrai bon vivant à la manière de son père Noël dont j'ai déjà parlé.
À force de côtoyer l'oncle, j'ai fini par rencontrer sa nièce.

C'est aussi arrivé à la gare. Je revenais du chantier et je m'étais amené à Mont Rolland, comme souvent. Elle y était : aller à la gare était la distraction du temps.
Nous avons jasé un peu et après que le train a été parti, je l'ai amenée chez
«Timan» Bertrand. Monsieur Armand Bertrand tenait un petit restaurant. Je lui ai offert une liqueur, puis je l'ai reconduite chez le grand-père Lamoureux où elle travaillait à la maison de pension. C'était le samedi soir avant Noël, depuis, ça marche. C'est ça l'histoire simple mais solide des amours de nos vies qui a commencé tout doucement autour des locomotives à vapeur.
Un ingénieur de train éméché
Je me rappelle une anecdote qui se situera un peu plus tard à propos du train du Nord. 1942 avait été une année de mortalité dans notre famille. Ma grand mère Gagné était morte en février et mon grand-père Forget décédait lui aussi en septembre.
Le 1er janvier 1943, on décide donc d'aller veiller chez ma tante Clara, la soeur de grand-mère Forget.
Le départ du train se faisait à Mont-Rolland à 5 heures. Mais à Piedmont, rien n'allait plus, tout était arrêté. Il faisait un froid de loup. Je décide de descendre avec la famille dans la gare où c'était plus confortable.
On questionnait en vain tout le monde. Les « train men» semblaient mal à l'aise mais n'osaient rien dire. Un moment donné on a su ce qui était arrivé : l'ingénieur du train était sur le brosse et avait oublié de prendre de l'eau pour la locomotive à Mont-Rolland.19
19 On raconte, mais je n'ai pas pu (ou pas osé) le vérifier, qu'il suffisait d'offrir un p'tit treize onces au chargé du train pour que le tarif pour Mont-Laurier disparaisse.
Il a fallu télégraphier à Sainte-Thérèse pour qu'on envoie un autre train. Mais encore fallait-il prendre le temps de réchauffer l'engin pour le faire démarrer et ensuite, le rendre à Piedmont. Si bien que j'ai décidé de prendre un taxi.
Je suis monté à l'hôtel de Piedmont qui allait devenir beaucoup plus tard le Petit Canot, où j'ai rencontré Roméo Lafleur, le cousin de Marcelle, pour qu'il vienne nous reconduire Mais, c'était le Jour de l'an, il n'était pas en état de venir à Saint-Jérôme, et rien ne pouvait le persuader de sortir.
J'ai communiqué avec le Taxi Paul Labelle de Sainte-Adèle. Il nous a chargé 4,00 $ pour nous y conduire. Je me rappelle que c'était Lucien Racette, son chauffeur (le père d'Yvon Racette, le barbier), qui nous a conduits. 4,00 $, c'était pas mal d'argent dans le temps.
Pendant ce temps, ma tante Clara se demandait bien ce qui pouvait nous retarder... Quand on est arrivés, dans les circonstances surtout, elle était bien heureuse de nous voir. Quant aux passagers du train, ils sont arrivés à Saint Jérôme à 10 heures trente passées.
Sauter du train en marche
Si je n'ai jamais essayé de payer avec un p'tit treize onces, j'ai dû, un jour que j'étais dans le train venant de Mont-Laurier, faire la sorte d'acrobatie qu'on voit dans les films et qui était alors assez coutumière soit pour les gens qui voyageaient sans payer en demeurant sur le marche pied, soit par des gens qui étaient dans ma situation : je venais d'apprendre que le train ne faisait pas d'arrêt à ma gare. Vous avez vu dans les films anciens les scènes
où on saute de trains en marche... Des copains m'avaient expliqué comment faire, mais je n'aurais jamais cru que la poussée serait aussi forte ! Enfin, je ne me suis rien cassé et je n'ai pas été obligé de me chercher un moyen de revenir de Saint-Thérèse où devait s'arrêter le train.
Ce n'est que dans les années cinquante que le diesel devait remplacer le charbon et la vapeur comme combustible, rendre inutiles les réserves d'eau et changer les espèces de rituels que nous avions plaisir à voir dans le service des trains anciens.
Les remonte-pentes mécaniques
Au début, tout le ski qui se faisait était littéralement du cross country et la trail était le centre de ski. On arrivait par le p'tit train du Nord, on empruntait la trail et on reprenait le train plus bas. Certains prenaient la trail à Sa.int-Jovite et reprenaient le train à Shawbridge, mais c'étaient les experts.
Un moment donné, on a commencé à construire des remonte-pentes dans le Nord. D'abord à Shawbridge, puis à Saint-Sauveur : la fameuse côte 70 et au Chalet Cochand, dans la paroisse de Sainte-Adèle. Dans Saint-Sauveur, la côte
70 était sur l'ancienne terre de monsieur Casimir Latour, le grand-père de Marcelle. Les trois frères Casimir, Jules et Jos Latour étaient voisins. Ils ont eu de nombreux enfants. Devinez combien ? je vous le donne en mille : à leur trois, 63 enfants. Casimir, quant à lui a tenu la moyenne avec 21.
C'était un homme trapu, développé et solide. Mais son fils Paul, père de Marcelle, était un colosse, fort comme deux hommes. Son petit doigt était plus long et plus gros que mon pouce !
Dans le village de Sainte-Adèle, la première côte a été ouverte par monsieur Paquette (le marchand d'automobiles de Sainte-Agathe) ici, derrière ma maison côté ouest. Elle partait à peu près de chez monsieur Montplaisir et aboutissait sur un terrain loué à monsieur Paquette par monsieur Karabian. C'est donc le Sommet Bleu qui a l'honneur d'avoir eu le premier ski-tow dans le village de Sainte-Adèle. Cette côte, dès la deuxième année et pour environ deux ans, a ensuite été dirigée par monsieur Achille Rochon, également garagiste dont le commerce principal se situait sur le terrain aujourd1hui utilisé comme stationnment du IGA.
La côte des 40-80, défrichée et installée par monsieur T.-G. Patter, propriétaire du Ste. Adele Lodge qui allait devenir plus tard le Montclaîr, a été la deuxième à offrir ses services.


L'année suivante, devant le succès de l'entreprise de monsieur Patter, monsieur Dick Thomson) propriétaire du Chantecler, décida d'ouvrir sa première pente avec1 comme la 40-80, un ski-tow à câble.
La pente se terminait sur le lac. Cela a eu pour moi une conséquence spéciale. Vendeur de glace, je taillais mes blocs sur le lac Rond. Avec l'usage du lac par les skieurs, j'ai dû acheter ma glace de monsieur Roland Paquette de Val-Morin, qui a été lui-même un glacier durant plusieurs années.
Mais revenons au câble qui nous remontait Au début1 on en a sali du linge, abîmé des mitaines et des mains ! Jusqu1à ce que les Huot, Théodule «Titi>> et Roger «Cannette», les Cousineau1 Viateur et Henri, les Desjardins, Ernest ((le Grand Nest» et Fernand (qui se spécialisera dans le saut quand I' Alpine Inn aura sa pente avec saut), que tous ces experts, nous aient montré comment saisir le câble sans tout brûler par le frottement et comment le tenir fermement en le coinçant (en le tenant avec une main derrière le dos).
Dans les années 1934-1935, on avait défriché une côte étroite sur le mont Baldey qui était vraiment pour les seuls experts. D'ici, seuls les Cousineau, les Huet et les Desjardins pouvaient y exceller. Je me rappelle que Réal et Jean Louis Campeau l'ont essayée. Je me rappelle que Raoul Vaillancourt était aussi très bon et partageait les prouesses des Huet.
Une publicité américaine disant que tout le monde à Sainte-Adèle faisait du ski, même le curé qui chaussait se skis entre le presbytère et l'église pour aller dire sa messe, était tombée dans les mains du curé Anatole Martin. Il avait paraphrasé le texte en disant que tous les Américains viennent faire du ski à Sainte-Adèle : il y en a même qui naissent ici en ski. Les journaux ne pouvaient pas manquer cette boutade du bon curé...
Les gens de Sainte-Adèle excellent bientôt
Roger «Cannette» Huet demeurait sur la rue Saint-Hyacinthe (la rue Morin actuelle, au numéro civique 80), il était allé tout en haut de la côte, chez monsieur Auguste Ouimet, marchand général. chercher des oeufs. Comme toujours, il avait ses skis. Monsieur Ouimet l'en taquinait. Il lança donc un défi au marchand. Il chausserait ses skis. Si, sur le trottoir glacé, il pouvait se rendre chez lui sans casser aucun des oeufs qu'il apportait dans un sac de papier brun ordinaire, monsieur Ouimet ne lui chargerait pas sa douzaine d'oeufs. 25 sous dans le temps, c'était quelque chose ! Tout le monde a vite su que «Cannette» avait réussi l'exploit.


Ces skieurs téméraires faisaient d1ailleurs toutes sortes d1exploits. La rue Saint Hyacinthe était toujours couverte de neige glacée pour permettre aux sleighs de fonctionner. patins découverts pour monter et patins chaînés pour descendre. Donc une surface glissante, glacée, et rapide (et les skis n'avaient pas de quarts d'acier). Ces champions descendaient en ligne droite et poussaient même l'audace jusqu'à embarquer un jeune de 2 ou 13 ans sur leurs épaules. J'ai essayé ça. je vous dîs que ça descendait.
Il était régulier qu'en descendant de l1école les copains embarquaient sur les planches derrière les skieurs et les tenant par la taille, dévalaient à toute allure vers la maison.
Je me rappelle avoir vu Théo faire des sauts périlleux qu'on appelait des «somersets» et faire avec appui sur ses bâtons des changements de direction de 180° quand la vitesse commençait à diminuer et qu'il voulait reprendre la montée.
D'ailleurs, les Cousineau, les Huot et les Desjardins se faisaient un point d'honneur de partir ensemble du haut de la côte, de couper leurs trajectoires les uns des autres, (le plus près possible) et de ne jamais s'accrocher ni tomber. C'était tout un spectacle !
Nommer tous les jeunes gens et les jeunes filles qui ont excellé en ski à cette époque serait difficile. Plusieurs gravitaient autour des champions Cochand Louis-Émile et Pierre. La famille Latreille comptait d'excellents skieurs dont le moindre n'était pas Eugène qui demeure dans le 10° rang. La famille Guesthier avait aussi se athlètes remarquables.
Une fille de Sainte-Adèle mérite une mention spéciale c'est Yvonne Godmer, une championne qui pouvait suivre n'importe lequel des grands athlètes dont nous avons parlé.
La fabrication des skis
Le ski le plus rapide était celui de hêtre. Probablement parce qu'il est bien lisse. Malheureusement, il était fragile. Les amateurs de bosses et de sauts préféraient le ski d'érable, de merisier, de noyer ou de chêne. Les plus beaux skis étaient faits par monsieur Pierre Lamont, le père de Paul et de Lucie (madame Henri). Je me rappelle qu'il en faisait une paire par jour.
Pour plier le bout avant, il fallait tremper le bois dans de l'eau chaude puis forcer le pliage. Parfois malgré tout le soin pris, la planche cassait. Il arrivait aussi que la courbe n'était pas très durable.
Avec monsieur Manette, le forgeron, monsieur Lamont a trouvé un truc. Quand la planche était bien mouillée, on la forçait à plier mais lentement et bien appuyée sur le rond de la fournaise (la truie comme on disait alors). Ainsi la courbure était faite avec moins de danger de bris et durait bien plus longtemps.
Monsieur Lamont avait acheté son chêne de monsieur Rodrigue Campeau, le père de madame Jeannine Desjardins. Sa boutique était située sur mon terrain de stationnement actuel. L'été, il louait sa maison à des Juifs, il venait habiter la boutique avec sa famille. Sa boutique était entourée d'un immense jardin. C'est comme cela1 toutes nos histoires nous ramènent à la maison.
Je salue nos amis, les remercie en votre nom. J'espère que vous aurez eu autant d'agrément à nous lire que nous en avons eu à ressasser ces souvenirs. Monsieur et madame Lucien Dubé sont des gens charmants pour qui la petite histoire de Sainte-Adèle et de toute la région n'a pas beaucoup de secrets.
On pouvait faire de bien curieuses rencontres dans la Maple Leaf trail...

LM-056-18




Commentaires