Une colonie grecque à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Par Dimitrios N. (Jim) Tjelios

C'est pour des raisons de santé que le premier résident d'origine grecque s'est trouvé au Lac Masson. Mais c'est pour une autre raison que les Grecs qui l'ont suivi, nombreux, s'y sont installés et y sont restés.

On avait conseillé à Dimitrios Apostolopoulos (c'est ce premier résident que ses nombreux amis appelaient généralement «M. Poulos»), originaire de Nlanaris, au Péloponnèse en Grèce, et de son épouse, Yvonne Campeau qui, elle, était originaire de Sainte­ Scholastique au Québec, d'envoyer une de leurs filles à la campagne pour sa santé. C'est au couvent de Sainte-Marguerite-du­ Lac-Masson qu'ils l'ont envoyée.

Durant l'été, tous les membres de la famille venaient dans la région, M. Poulos louait une maison.

Plus tard, vers  1910, il acheta de fVl. Beaulieu une résidence au sommet du Chemin de la Colline.

Quelques années plus tard, vers  1919, M. Poules invita chez lui, au Lac Masson, un ami, M. Théodore Skapérdas, propriétaire d'un commerce de fourrure à Montréal.

Cet ami était originaire de Kastoria en Macédoine. Pour M. Skaperdas, ce fut une expérience inoubliable : en voyant le lac Masson, il croyait revoir le lac Kastoria de son enfance. Le lac Kastoria et la ville du même nom se trouvent au nord de la Grèce, dans une région de montagnes et de lacs qui ressemble beaucoup aux Laurentides. C'est, comme la région de Sainte-Marguerite, un monde de verdure, de forêts de pins et de vallées fleuries.

Peu de touristes connaissent ce meNeilleux pays préférant la Grèce plus populaire du sud et ses îles qui font rêver.

Cette région était et demeure le centre de l'industrie de la fourrure en Grèce et les fondateurs de plusieurs des grandes compagnies de fourrure à Montréal sont des émigrés de cette région.

À son retour à Montréal, M. Skapérdas n'a pas hésité à vanter la beauté du lac Masson et de la région à ses compatriotes. Très rapidement les familles Anastas, Liaskos, Micas, Tsadilas, Lagios, Salamis, Moshonas, Colivas, Tjelios (Nicholas), Théodoropoulos, et d'autres, lui succédèrent, faisant le trajet Montréal-Sainte-Marguerite tous les étés.

L'accueil des gens du village était très chaleureux. La plupart des familles du village louaient leurs maisons et se réservaient pour la saison les cuisines d'été qui avoisinaient celles-ci.

Comme tous les enfants de ces familles, j'ai connu dans le merveilleux site de Sainte­ Marguerite des étés de rêve! La vie sur le lac, les plages et au barrage du lac, les excursions aux cascades, au mont Vénus, à la source fraîche qui surgit près du chemin qui mène au Lac des Îles, à la croix qui surplombe le Chemin Kelly, étaient des moments dont tout enfant ou tout adolescent rêve secrètement.

Et que dire de nos heures de cueillette de bleuets et de framboises, de nos pêches à la truite et à l'achigan dans la baie du Cheval infirme, de nos soirées au restaurant Villa du Lac, au cinéma, à la soirée au «Blue Room» du Domaine de l'Estérel ou à la tombola de la Salle paroissiale, de l'attente du courrier à l'Hôtel Chartier, du temps passé à la machine «Poker) chez Bruno, du pain et des beignes chauds que nous attendions à la boulangerie Desjardins, aux commissions que nous faisions avec joie chez les Gauthier (Roch et Wilfrid) et chez J.-E. (pour Euchariste) Lavigne...

Il y avait aussi toute l'euphorie de préparer puis de jouer la partie annuelle de balle­ molle entre les gars du village et les membres de notre communauté grecque.

L'étoile de notre équipe était Andy Anton, surnommé «le gros Jambon)); il sera commandant de la Marine canadienne et officier de liaison entre la Marine britannique et la Marine grecque durant la guerre de 1939.

Le gros canon du village était Joseph Lacasse dont la présence au bâton garantissait un coup de circuit et, souvent, une balle perdue dans la forêt avoisinant le terrain. C'était une journée de camaraderie et de compétition amicale. Quelques-uns des Grecs faisaient d'ailleurs partie de l'équipe officielle du Lac Masson qui jouait contre d'autres villages des Laurentides.

Je me souviens de Rachel et Aldéric Fillion, de René et Marcel Riopelle qui demeuraient près de la maison que nous louions de M. et Mme Roméo Labonté, et de mon ami Gilles Giroux et de son chien Boubounne avec qui je passais des jours entiers, aidant le Père Giroux à son garage B/A, cherchant des outils, pompant la gazoline et jouant avec des petites autos dans le sable fin sous la galerie de la maison Giroux.

Quand la famille louait chez M. Desjardins (le cordonnier), j'accompagnais les enfants qui montaient le troupeau de vaches au pâturage en haut de la Côte Kelly, en tenant la queue des vaches pour monter plus facilement le côté (tout en évitant les incommodités que cette position engendrait).

Aujourd'hui, quelques enfants de la deuxième génération possèdent encore des maisons dans le village et dans les environs, et plusieurs continuent de faire une petite visite de temps en temps dans l'endroit qui leur rappelle tant de souvenirs.

En terminant, je voudrais remercier Mlle M. Poulos et M. E. Skapérdas pour les renseignements sur l'arrivée des premières familles grecques. Je m'excuse si j'ai oublié de mentionner certains noms, car ma recherche ne pouvait être complète.

Je remercie aussi la Société-d'Histoire-des­ Pays-d'en-Haut qui m'a donné l'occasion de revivre de si beaux souvenirs et tous les gens du Lac Masson à qui je les dois. Comme le disait si bien Alfred de Musset:

«Un souvenir heureux est peut-être, sur terre, plus vrai que le bonheur.»

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