top of page

Léontine Lessard, la p'tite Maitresse d'école de Sainte-Adèle, P. Q.


Par Pierre Dulude


Par une morne journée d'hiver, nous entrons chez Léontine Lessard, que tout le monde connaît à Sainte-Adèle. Et tout de suite l'atmosphère s'illumine. Oui, car mademoiselle Léontine n'est pas une personne ordinaire. Elle a l'esprit vif, Léontine, l'œil rapide et fureteur; même si sa démarche est légèrement pénible, sa phrase est bien construite et ses mots sont précis.


Elle est née avec le siècle. Devant elle, sur une table, une pile de vieilles photos, de journaux jaunis, de programmes de fêtes puis, dans un cadre, la photographie en grand d'un groupe de jeunes filles où perce le petit minois de Léontine qui explique : «Ça été posé le lendemain de la Fête-Dieu, alors qu'on avait dégarni le reposoir.»


Des élèves à l'école et à la maison


Tout au long de l'entretien, les petits yeux malins de mademoiselle Lessard resteront attentionnés et vifs, même lorsqu'ils cherchent une date. Et toujours ce souci de la phrase bien faite. Que voulez-vous, elle est restée «la maîtresse d'école de Sainte-Adèle P.Q »


«J'ai enseigné vingt-deux ans à l'école publique et huit ans ici, dans ma maison. J'ai commencé à l'âge de dix-huit ans. Et tout de suite, j'ai attrapé la grippe espagnole. L'école était loin du centre de Sainte-Adèle. Et mes élèves se composaient de garçons et de filles.


« Tout le monde couchait sur place. Les garçons en bas, près du poêle, qui couchaient tout habillés. En haut, moi avec les filles. Et pour toute source de chaleur, un trou dans le plancher. Le matin, l'eau était gelée dans le bol à mains. Moi, je couchais recouverte d'une grosse jaquette de flanellette, une grosse veste, une robe de chambre et quatre couvertures de laine.

«A ma première année d'enseignement, les enfants m'ont demandé si j'étais mauvaise. J'ai répondu que cela dépendait d'eux. Avec ma petite taille (elle mesure à peine cinq pieds, Léontine), on s'est moqué de moi. Mais quand j'ai renvoyé chez lui un grand garçon de quinze ans qui refusait de m'obéir, les élèves ont compris. Il faut que j'ajoute que ma pénitence préférée était de faire apprendre par cœur une colonne entière d'une page du dictionnaire. Ainsi, je conservais mon autorité. En ce temps-là, les maîtresses d'école étaient payées deux cents piastres par année.


«Je me suis donnée aux enfants des autres»

À Sainte-Adèle, le pied du promeneur trouve rarement une surface égale. Il lui faut constamment ou monter ou descendre. «Il y avait la cote du Sauvage qui faisait peur aux touristes de Montréal. Et aussi la grande côte de sable de Sainte-Marguerite, que même les chevaux montaient péniblement.»


Elle raconte avec tellement de verve, elle est tellement présente et vive que nous posons bêtement la question: «Pourquoi ne vous êtes-vous jamais mariée?» «C'était parce que j'étais toujours malade; je ne voulais pas embarrasser un homme, je faisais souvent des hémorragies et je n'avais pas une santé bien florissante. Croyez-moi, je n'ai pas manqué de soupirants ni de demandes en mariage.» Et elle en rit de tous ses quatre-vingt-quatre ans. Elle poursuit:


« En conséquence, je me suis donnée aux enfants des autres, à l'enseignement. Il y avait ici, pas loin, une grotte qui avait été édifiée par un protestant. C'était en l'honneur de la Vierge. À la surprise de tous, l'eau avait jailli un peu plus haut que la grotte.


«Ce dimanche-là, c'était le jour d'un grand rassemblement à la grotte. Ma mère, voyant mon état de faiblesse, m'avait forcée à rester à la maison. Mais je me suis rendue quand même au lieu, j'ai plongé mes mains dans l'eau de la source et j'en ai bu, demandant à la Vierge de me donner la force d'enseigner à mes premiers élèves. C'était une tâche quasi impossible.


« Eh bien, j'ai réussi. Réussi à enseigner à quarante et un élèves. Et huit divisions. C'est-à-dire qu'il y avait quatre ou cinq enfants dans la même classe, pas plus. Je devais demander aux plus grands élèves de m'aider à enseigner aux tout jeunes, et ainsi de suite. J'ai gagné!»

Si c'était à refaire, elle recommencerait

«L'autre jour, quand le docteur est passé, il m'a demandé: «Êtes-vous heureuse?» Je lui ai répondu : «Écoutez, docteur. J'ai deux pieds et je suis capable de me grouiller, j'ai deux mains, je peux même acheter un métier à tisser) 1 j'ai deux yeux pour fureter et pour lire, deux oreilles, une bonne et l'autre morte, et enfin, la tête pas trop folle. Que demandez-vous de plus?»


«Je vis toute seule dans ma maison. De grandes journées que je passe seule. Je regarde la télévision de Radio-Canada, des fois à pleine tête. Je ne me sens pas toute seule.»


Mademoiselle Léontine Lessard a passé huit années à pratiquer l'enseignement chez elle dans sa maison. Elle explique : «J'ai aussi enseigné aux tout jeunes enfants qui n'étaient pas encore d'âge scolaire, à ceux qui éprouvaient de la difficulté à parler, ou des enfants trop nerveux, quelquefois à des enfants retardés pour une raison ou pour une autre.


Si vous voulez parler de l'enseignement tel qu'il se pratique aujourd'hui, je vous répondrai que, si c'était possible, je crois que je recommencerais. Avec toutes les méthodes qui ont changé tout le système, je trouverais encore le moyen de donner tout mon amour aux élèves.


« En plus de les instruire, je chercherais à les éduquer. Je considère que la politesse ne passe pas de mode. Aujourd'hui, certains jeunes se conduisent comme des loups-garous. Je m'appliquerais à expliquer aux élèves que lorsque les parents paient des taxes pour rémunérer des professeurs, c'est eux-mêmes qu'ils trichent.


«Qu'on me réponde que les professeurs travaillent pour le gouvernement, je réplique que le gouvernement c'est vous, c'est moi. C'est ainsi que je faisais réfléchir mes élèves. C'était de l'instruction, bien sûr, mais aussi et plutôt de la formation.»


LM-053-36

 
 
 

Commentaires


À PROPOS

La Société d'histoire et de généalogie des Pays-d'en-Haut est une corporation sans but lucratif

ADRESSE

Tél. : (450) 744-0182

 

Chalet Pauline-Vanier 

33, avenue de l'Église
Saint-Sauveur, Québec, Canada
J0R 1R0

 

info@shgph.org

Voir les heures d'ouverture

POUR NE MANQUER AUCUNE NOUVELLE. 
ABONNEZ-VOUS MAINTENANT!
  • Grey Facebook Icon
  • Grey Google+ Icon
  • Grey Instagram Icon

© 2017-2024 Mélanie Tremblay / Votre boutique en ligne : faites le premier pas

bottom of page