LES PREMIÈRES ANNÉES DEL'ORPHELINAT NOTRE-DAME DE MONTFORT (2e partie)
- Mélanie Tremblay
- il y a 4 jours
- 18 min de lecture
VIII
Des Soeurs
Si les promoteurs de l'oeuvre, vu leurs positions et occupations respectives, ne pouvant en prendre personnellement la direction et l'administration avait songé à des hommes sans famille selon la nature, afin qu'ils puissent plus librement donner leur coeur aux enfants à eux confiés et dont ils deviendraient les Pères, (sic) il fallait aussi des Mères. Il fallait des femmes pour tenir la place des mamans dont les orphelins avaient à peine connu l'existence et encore moins les tendresses. Après la Compagnie de Marie, la Congrégation de la Sagesse était toute désignée. (48)
De bonne souche
Identification:
En fouillant les annales, où les strates des années passées se conservent, nous sommes repoussées trois siècles en arrière et nous entrons en communion avec un homme et une femme devisant de l'Avenir: lui, l'apôtre-prophète et elle, la première d'une longue lignée de Religieuses. Nous les connaissons. Ils sont dans la cour du Petit Plessis, à La Rochelle où, à la demande de Mgr de Champfleur, les premières disciples de Saint Louis-Marie font la classe à des petites filles."
"Dans les desseins divins, je vois une pépinière de Filles de la Sagesse" de dire Montfort à Marie-Louise de Jésus.(49)
"Cette prophétie devait se réaliser..." (50)
Les Filles de la Sagesse arrivent.
Le 27 septembre 1884, les Filles de la Sagesse, au nombre de sept, arrivaient à Montfort accompagnées du Père Joubert venu prêter main-forte à ses confrères.
Les chroniques ont retenu pour la postérité le nom de ces pionnières: Aimée du Calvaire, Pierre Urséole, Ste-Mechtilde, St-Mutien, Marie de St-Philippe, Marie-Laurent et O1ive. (sic) (51)
IX
Mandat de Mère Aimée du Calvaire 1884-1890.
Un mandat court, fructueux, basé sur la croix.
Le début
Nous avons déjà dit que Montfort, relevant du diocèse d'Ottawa, est situé dans la province de Québec dans un des endroits les plus sauvages de la contrée au milieu des lacs et des montagnes. C'est le théâtre où les Filles de la Sagesse sont appelées à exercer leur zèle à leur arrivée en Amérique du Nord.
L'accueil que leur réservent les rares habitants qui n'ont pas craint de fixer leur demeure dans ce milieu solitaire, est des plus sympathiques. Quelques petites filles adressent aux Soeurs un magnifique compliment lu par la petite fille même de M. Froidevaux, grand bienfaiteur de l'œuvre et connu dans tout Montréal pour son dévouement à l'Orphelinat Montfort.
La bénédiction du Saint-Sacrement est donnée par leur compagnon de voyage, le Père Joubert, puis les Soeurs se rendent dans leur communauté composée de deux couloirs de la maison des Pères. La pauvreté en fait tout l'ornement, car le nécessaire même y manque: ce qui n'empêche pas les Soeurs de se mettre courageusement au travail sachant bien que les oeuvres les plus prospères sont fondées sur la croix.
L'hiver sera là avant que le fourneau, la chaudière et les cuves ne viennent remplacer un chaudron d'une quinzaine de litres, posé sur deux pierres et un petit bassin de fabrication domestique: installation plus que rudimentaire pour aborder l'urgent problème de la lessive.
Les Frères construisent en hâte deux cloisons pour donner asile aux Soeurs dans le nouveau bâtiment. À peine sont-elles un peu mieux logées que, sous l'action du poêle chauffé à blanc, le bois vert dont on s'est servi pour la construction se contracte: cloison, murailles, planchers, tout laisse passage à la bise aigre et l'on a presque aussi froid que dans le logis corridor...
Que dire du travail qui les attend: un vestiaire négligé, une infirmerie à organiser, une maison où tout est à faire. On s'essaie à l'imaginer: un ménage tenu par des hommes, Pères, Frères, et quelques grands orphelins employés à de gros travaux de bâtisse, de défrichement et de culture.
En mai 1885, Mgr Duhamel, Archevêque d'Ottawa, fait sa première visite à l'orphelinat; il se montre on ne peut plus bienveillant et tient à voir les Soeurs chacune en particulier. Cette visite, qui a lieu un mois avant l'ouverture officielle de l'orphelinat, est des plus réconfortantes pour la Communauté.
Dès le mois suivant, juin 1885, le nouveau bâtiment est prêt et l'on peut recevoir les petits. Ceux-ci sont entièrement confiés aux Soeurs: soins et éducation. Avec l’arrivée des trois premiers enfants, on peut dire que l'orphelinat est fondé. On a préparé des appartements plus convenables pour les Soeurs, mais à mesure que les orphelins viennent plus nombreux, ce sont des échanges de locaux, des déménagements toujours à recommencer ...

Point n'est besoin de dire que cette Communauté toute neuve, établie loin du chef-lieu, dans un contexte social à maints égards différent de celui qu'on a quitté, a eu beaucoup à souffrir. Mais ce n'est point une hyperbole de dire que son courage fut à la hauteur des difficultés.
D'où venaient ces souffrances? Nous avons fait allusion au contexte social. Nous pourrions parler du climat, de l'hiver canadien qui a pris nos communautés au dépourvu: on ne savait pas se calfeutrer, s'habiller, se chausser, se chauffer et même se nourrir pour être en mesure d'affronter les rigueurs du froid et les inconvénients de la neige. Les moyens de communication: téléphone, chemin de fer étaient au même titre que l'électricité, inexistants; il faut se rappeler qu'on était loin de tout, en pleine forêt. En 1886, un incendie éclate au milieu de la nuit. Le personnel de la maison, réveillé en sursaut par la lueur des flammes, constate que le feu dévore la nouvelle boulangerie, la buanderie et un hangar à peine achevé. Les dégâts matériels sont très grands. En juillet 1887, à cause des feux de forêt et de la sécheresse, l'établissement est de nouveau en danger durant 15 jours.
Malgré ces épreuves, l'œuvre grandit. Deux ans après son ouverture, l'établissement compte 54 personnes: 3 Pères, 6 Frères, 1 Novice, 9 Soeurs et 35 Orphelins. Un système de chauffage à eau chaude a été installé dans la maison: le bien-être a commencé à se faire sentir. En dépit des apparences, la culture est plus rémunératrice qu'on pourrait le croire, mais il faut le reconnaître, il en coûte bien davantage aux bons Frères agriculteurs qui doivent faire tout l'ouvrage à la main. "Le moins de culture possible à la charrue et à la herse,... disait le Père Bouchet à un congrès d'agriculture ... juste ce qu'il faut de céréales pour l'hivernement de nos bestiaux, des pâturages gras bien tréflés et rendus parfaits par l'excellente eau qu'on y trouve, des prairies traitées avec le plus grand soin, surtout des légumes fourragers et autres que possibles; des vaches, du lait, du beurre, du fromage, voilà le secret de toute notre culture, dès ses premiers débuts et c'est le seul capable de réussite dans nos montagnes. Et de fait, les pâturages et les récoltes de foin permettent d'entretenir à l'année six chevaux et un troupeau de quarante cinq vaches laitières. On peut aussi jouir de l'air pur, de l'eau cristalline, du calme des montagnes, de l'éloignement de la ville et de sa kyrielle d'ennuis. Toutes choses que, dans bien des cas, les villégiateurs se payent cher. En fallait-il davantage pour faire confiance à l'avenir? Il y a lieu de le croire car Mère Aimée du Calvaire écrit:" Mission de croix. Ennuis, chagrins, angoisses, difficultés nous viennent de partout".(52)

Un Visiteur:
Le Père Jouet, Assistant Général et futur procureur de nos Congrégations à Rome, est envoyé comme visiteur au Canada. Celui-ci prend des informations au sujet de l'établissement mais les bienfaiteurs semblent se refroidir depuis quelque temps et ne plus s'y intéresser. Aussi, d'après le rapport du visiteur, les Supérieurs Généraux ont presque envie de tout abandonner.
La petite Communauté déjà bien attachée à cette œuvre si belle est partagée entre la crainte et l'espérance. "Dieu va-t-il l'anéantir?" C'est son secret. On redouble de prières en ce moment décisif et, à l'occasion de la Béatification du Fondateur, on demande par son intercession la guérison du Frère Honoré gravement malade comme preuve de la volonté de Dieu au sujet de l'établissement. Cette guérison miraculeuse est obtenue et prouve que l'œuvre de l'orphelinat est dans les desseins de la Providence, aussi est-elle maintenue.

En juillet 1888, l'orphelinat recevait la visite du Ministre des Terres de la Couronne accompagné de Mgr Labelle. Désormais, la protection du gouvernement est acquise à l'œuvre. (53)
Huberdeau
Mais quand on parle de l'œuvre, il y a lieu depuis 1887 d'inclure Arundel, la succursale de Montfort. On ne fut pas long à s'apercevoir que le sol de Montfort, quoique de bonne qualité, était trop rocheux et peu favorable à une exploitation agricole. Nous avons dit à quel prix la culture devenait rémunératrice. Aussi, cherche-t-on promptement à y remédier. On jeta les yeux sur une ferme située dans la vallée de la Rouge à Arundel, que le Curé Labelle appelait le "Paradis du Nord". Cet emplacement avait déjà été proposé à l'œuvre, dès le début. Où puiser les ressources pour un tel achat?
Le Père Urlings nous apprend que le ciel s'en mêla et voici comment les choses se passèrent. Le Père Fleurance, venant au Canada, avait lié connaissance pendant la traversée avec M. l'Abbé Gédéon Huberdeau, prêtre du diocèse de Montréal, qui exerçait le saint ministère à Albany. Durant l'été 1887, il visitait Montfort en compagnie de Mgr Labelle, le curé colonisateur, qui de tout temps devait aider et favoriser l'œuvre de sa puissante influence. La vue du bien qui s'y faisait et les nécessités de l'institution acheva de gagner ses sympathies. Il fit don de dix mille dollars pour faire l'acquisition projetée: c'était la meilleure part d'épargnes qu'il devait à l'austère simplicité de sa vie. Le village qui s'élève aujourd'hui, sur les bords de la Rouge, aussi bien que l'orphelinat redisent, par reconnaissance, le nom béni de l'insigne bienfaiteur.

Le Père Joubert qui était au Canada depuis deux ans et avait desservi la mission de Saint-Adolphe allait, avec trois Frères et six Orphelins, inaugurer cette nouvelle maison où l'on pourra former toute une catégorie d'enfants de quinze à vingt-et-un ans.
À la fin de 1887, le Père Fleurance est appelé à d'autres travaux, le Père Bouchet se voit confier la direction des orphelinats qu'il conservera pendant plus de vingt ans.
Désormais, il faudra un double personnel et des bâtiments nouveaux, il faudra répondre à des besoins pressants...
À Montfort, on construisit une chapelle, et des amis de l'œuvre donnèrent la dynamo qui fournira l'électricité et le carillon dont les échos se répercuteront harmonieusement dans le joli paysage.
À Huberdeau, on construisit successivement une beurrerie, de vastes granges, des étables, une résidence éclairée au gaz acétylène, une scierie hydraulique et un aqueduc alimentant de l'eau pure et abondante des sources voisines, un système de chauffage et toutes les dépendances de l'établissement. (54)
À cette époque, les moyens de communication étaient difficiles, il fallait aller prendre le train à Saint-Jérôme, y chercher les orphelins, les objets d'outillage et d'ameublement, toutes les provisions. On voyageait par monts et par vaux. Dans les souvenirs, on lit que durant la première année le chemin était carrossable seulement jusqu'à la décharge du Lac Chevreuil; à cet endroit, on dételait la voiture, on en vidait le contenu dans une embarcation et on y mettait la voiture elle-même après l'avoir démontée. C'est en cet équipage que le Père Fleurance traversa maintes fois le lac à force de rames pendant que le cheval, docile, suivait seul, sous bois, l'étroit sentier qui menait à l'écurie.

Lorsque la neige sera abondante, on ne pourra aller que tous les huit ou dix jours chercher la poste à Morin; "privation d'un nouveau genre pour celles qui doivent attendre plus longtemps des nouvelles de la patrie".
Les peines cependant sont ponctuées de joie. C'est ainsi que le 28 avril 1888, pour la première fois au Canada, la Famille montfortaine célèbre la fête de son Bienheureux Père. Au mois de septembre suivant a lieu un triduum en l'honneur du Bienheureux; une assistance nombreuse répond à l'invitation du Père Bouchet. Comme cadeau de No l, la Mère Générale envoie trois magnifiques reliquaires: l'un pour Mgr Duhamel, l'autre pour Mgr Fabre, le troisième, pour les Soeurs. Les fêtes ne sont pas finies: en date du premier janvier 1889, on note: "La Communauté de Montfort reçoit de Saint-Laurent une lessiveuse, une pendule et 30 costumes pour les orphelins."
Ces derniers augmentent, ils sont aujourd'hui 76. Le 28 avril de la même année, une jeune fille de Montfort, Rose-Aimée Hotte, entre à la Sagesse comme postulante. Un orphelin protestant est baptisé le 13 mai et une cloche destinée aux Soeurs, est bénite le même jour. Le 29 juin, Mgr Duhamel vient donner la Confirmation à Montfort. Il reste trois jours dans l'établissement et, toujours bienveillant pour les Soeurs, il leur consacre une après-midi entière. Les Soeurs Azarie-Marie, Ste-Hermogène et Patricie, converse, arrivent de France. Elles seront suivies, au début de l'hiver, des Soeurs François-René et St-Aquila.

Faits divers plus ou moins importants, ils disent mieux que nous pourrions le faire la vie qui animait les humbles débuts de la Sagesse, dans les montagnes grandioses mais solitaires où la Providence les avait conduites.(55)
Deuils:
Le premier janvier 1888, un orphelin âgé de 20 ans mourait à l'Orphelinat et y jetait le deuil pour la première fois. Le 30 septembre 1889, c'est la première Fille de la Sagesse qui meurt au Canada: Soeur Ste-Hermogène, (sic) la plus jeune de la Communauté, succombe à une mauvaise fièvre se disant heureuse de mourir. La Communauté éprouve un profond chagrin.
Expansion:
En janvier 1890, les Soeurs sont maintenant au nombre de 15, et les Orphelins, 96. Au cours de l'année, soit le 19 août, un renfort portera le nombre des Soeurs à 21. Mais des six dernières arrivantes, 4 sont destinées à une nouvelle fondation: Saint-Jovite. (56)
Fin d'un mandat:
Le 19 août 1890, Soeur Aimée se dispose à accompagner Soeur Eurose, la Supérieure nommée pour Saint-Jovite, mais elle est prise tout à coup de vomissements de sang qui ne laissent pas de doute sur son état.
Après avoir beaucoup souffert d'une hypertrophie du cœur, elle rentre doucement, sans agonie, à la maison du Père. Elle était âgée de 46 ans dont 24 de profession religieuse.
En elle, les Soeurs et les Orphelins perdent une Mère dévouée et charitable; aussi est-elle sincèrement regrettée de tous.(57)


Mère Augustin de la Miséricorde (1890-1904)
Quelques jours seulement après l'entrée dans la Maison du Père de Soeur Aimée du Calvaire, on lit dans une circulaire du Père Maurille adressée à la Congrégation, ces lignes qui étaient sans doute d'actualité pour les pionnières du Canada:
"Un ferme appui du courage chrétien, un des soutiens les plus efficaces de la constance, de la persévérance c'est, je l'ai nommée: la pensée du Ciel, la pensée du bonheur des saints dans le Ciel. Il est dur assurément de renoncer et de porter sa Croix tous les jours, il est dur de toujours veiller, de toujours se réprimer, de toujours lutter ( ... ), mais Notre-Seigneur lui-même sera notre récompense magnifique, mais le Ciel en sera le prix!"
Ces paroles ont certes eu un écho particulier dans le coeur de celles qui, à Montfort, ont pris en charge la tenue de la maison et placé dans leur coeur les orphelins y arrivant tous les jours plus nombreux. Aussi poursuivent-elles courageusement le chemin tracé par la regrettée défunte en attendant l'arrivée de sa remplaçante.
Le 13 décembre, cette attente devait être comblée. La Chère Soeur Augustin de la Miséricorde arrivait à Montfort. Depuis 14 ans, elle était maîtresse au postulat de Saint-Laurent et bien connue des Soeurs; aussi fut-elle accueillie avec joie d'autant plus que depuis longtemps la Communauté de Montfort sentait le besoin d'une Supérieure.
Nous sommes à la veille d'une nouvelle année. Que cache 1891? Avec nos Soeurs de l'époque, nous allons le découvrir. À Montfort, un petit orphelin anglais arrive avec la diphtérie et succombe deux jours après. Ce mal contagieux atteint plusieurs autres enfants qui le suivent dans la tombe. Grande est la désolation du personnel éducateur et des protégés. (58)

"La Montfortanie grandit au Canada. Les Pères sont à Montfort, Arundel, Ottawa et Cyrville sans compter les dessertes qui leur sont confiées. Quant aux Soeurs, elles ne sont pas encore à Arundel; toutefois, ailleurs, on les retrouve à côté des Pères, sauf à Saint-Jovite, où elles travaillent avec le clergé séculier.
Huit établissements! Voilà un beau début de Province que les Supérieurs Généraux ne connaissent qu'à travers la correspondance et le Père Jouet. Nous supposons que l'état de santé du Père Guyot, les préparatifs et les fêtes de la Béatification du Fondateur, les fondations en Europe et les difficultés que connaissaient nos Congrégations d'alors sont des raisons valables du retard des Supérieurs à visiter les œuvres canadiennes.
Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, le Cher Père Armand Maurille et la Chère Mère Marie-Pauline annonçaient ainsi le 8 juin 1891 leur prochain voyage en Amérique du Nord:
Dans quelques jours, nous allons partir pour le Canada, la Chère Mère et moi-même afin d’ y visiter les établissements de nos Congrégations. Veuillez pendant notre longue absence nous assister de vos ferventes prières nous et tous nos compagnons de voyage. Ce qui laisse supposer qu'un contingent de Soeurs et possiblement de Pères arriveraient avec eux à moins qu'il ne soit fait allusion à l'ensemble des passagers. Il est facile de deviner la joie des Pères et des Soeurs et l'enthousiasme qui présida à la préparation de la venue des Supérieurs.
De ce voyage au Canada, nous laisserons le Cher Père Maurille lui-même en parler. Dans une circulaire envoyée de Saint-Laurent le 12 octobre 1891, le Supérieur Général écrivait: "J'ai pensé qu'il vous serait agréable de lire quelques détails sur ce lointain voyage".
La Chère Mère, moins favorisée que le Père qui m'accompagnait et moi, n'a point été exempte du mal de mer, néanmoins elle a supporté vaillamment les fatigues de la traversée.
Le 21 juin, nous arrivons à New-York, ville beaucoup plus bruyante que Paris; nous devions la quitter dès le lende main pour nous rendre à Montréal où nous attendaient le Père Bouchet et les Supérieurs de Montfort et de Saint-Jovite. Se retrouver sur la terre étrangère c'est, de part et d'autre, une grande satisfaction, et vous comprenez, mes chères Filles quels furent nos sentiments à la première entrevue.
Après un repos bien nécessaire, on se remet en route pour Saint-Jérôme et Montfort.
À Montfort, l'aspect est véritablement grandiose et pittoresque. Figurez-vous un monticule granitique dont le sol est semé d'énormes blocs, posé entre deux lacs et encadré en avant, en arrière, à droite, à gauche, de montagnes aux forêts vierges. La route avant d'arriver fait des détours, mais l'on devine l'établissement avant de le voir. Au bas de la côte, nous avons devant nous la maison qui se développe sur une largeur de 83 mètres. Pour y arriver, il faut franchir un pont de bois rustique jeté sur le torrent qui va du Lac Saint-François-Xavier au Lac Chevreuil que nous venons de côtoyer.
La maison est grande, bien aménagée et ayant vue, à l'Est et à l'Ouest, sur deux lacs dont le déversement forme torrent sur la propriété et fait mouvoir une scierie. Au Nord et au Midi s'élèvent deux montagnes dont les sommets portent encore la vieille forêt et dont les pentes cultivées produisent diverses récoltes.
Des pâturages sur ces mêmes pentes nourrissent vaches, moutons, chevaux... Ce qu'il y a de plus intéressant dans ce désert c'est le petit peuple qui l'anime. Ici, 150 enfants, orphelins ou pauvres ou abandonnés trouvent un abri, du pain et surtout, une formation sérieuse qui en fera des hommes honnêtes et chrétiens. A voir ces petites figures épanouies, certes, on ne les prendrait jamais pour des victimes, mais bien pour des êtres privilégiés à qui la religion a donné des mères, des pères et des frères.
Les Soeurs remplissent à leur égard les fonctions de mères et d'institutrices, les Frères les initient à divers travaux manuels et à la culture, les Pères ont en eux un objet de zèle véritablement apostolique. Les plus grands de ces enfants sont envoyés à Arundel, succursale de Montfort mais ayant une terre plus favorable à la culture.
Après quelques heures de repos, le jeudi 2 juillet, jour de la Visitation, nous commencions la retraite à 29 Soeurs de la Sagesse. Là, mêmes exercices, même édification que dans nos maisons d'Europe. Sauf les montagnes et le désert qui nous entouraient, on se serait cru en France.
Le jeudi 9 juillet, nous partions pour Arundel. La route n'est pas très unie; nous ne faisons que monter et descendre, cette dernière opération toujours en courant. On se demande si on ne va pas être précipité la tête en bas: mais non, après une première expérience, on est vite rassuré; les chevaux ont le pied solide, et le cocher, la main ferme. Après avoir trotté par ces déserts et cotoyé nombre de lacs, vers midi, nous faisons halte et trempons notre pain dans la fontaine qui coule au bord du chemin. Enfin, vers 3 heures, nous sommes au terme, c'est Arundel: rudiment d'une ville future qui baignera ses pieds dans une eau courante qu'on appelle la Rivière Rouge. Pour le moment, rien encore, si ce n'est quelques cases d'ouvriers, et enfin, l'Établissement rudimentaire aussi des enfants de Montfort. C'est dans dix ans qu'il faudra revoir ces lieux pour comprendre avec quelle rapidité les choses marchent dans le nouveau monde. Arundel se prête mieux que Montfort au développement d'une institution agricole, mais les deux se complètent...
Avant notre départ, nous devions faire une visite à Mgr l'Archevêque d'Ottawa. Quel chemin d'Arundel à La Chute, station où nous devions prendre le train pour la capitale du Canada! Pour comble d'infortune, voici qu'après quelques heures d'un soleil splendide, d'épais nuages s'amoncellent avec une rapidité incroyable. Nous avons le spectacle d'un orage de montagnes. Le tonnerre gronde avec un fracas inconnu dans les plaines, les éclairs jettent les lueurs les plus fantastiques et les plus sinistres à travers la profonde obscurité des bois.
La pluie tombe à torrents. Dans quel état lamentable elle met la Chère Mère et sa compagne de voyage, la Chère Soeur Ave! Notre voiture était découverte!
Ici, amis lecteurs, nous emprunterons certains passages qui parurent dans l'opuscule publié en 1892, par M. Eusèbe Senécal & Fils, imprimeurs-éditeurs et bienfaiteur de l'oeuvre.
Patriotique des Orphelinats Agricoles de Notre-Dame de Montfort, comté d'Argenteuil (sic).
EN ROUTE POUR LE NORD
Au 26 juillet 1892, la fête de la Bonne Sainte-Anne, patronne de cette Province, le mémorable anniversaire de la fondation de Notre-Dame de Montfort, jour où fût célébré pour la première fois le saint sacrifice de la messe dans les montagnes du canton de Wentworth, enfin jour anniversaire de la première fête de famille, des amis et bienfaiteurs des orphelins de Montfort, vingt amis, dis-je, partaient de Montréal, en joyeuse caravane, pour aller visiter les orphelinats de Montfort.
Ceux qui ne purent répondre à l'appel nous accompagnèrent de leurs vœux.
Tous nous allons souhaiter la plus cordiale bienvenue à Sa Grâce Monseigneur J. Thomas Duhamel, archevêque d'Ottawa, en visite pastorale. Sa Grandeur vient y terminer ses travaux apostoliques par la bénédiction de la nouvelle chapelle paroissiale de Notre-Dame de Montfort et y administrer le sacrement de confirmation aux orphelins et autres enfants de la paroisse.
Le temps est magnifique, les voyageurs sont heureux, les coeurs se dilatent, la joie est à son comble, nous allons voir notre Alma Mater!
Le sifflet strident de la vapeur nous invite à prendre place, les voitures s'ébranlent et nous transportent comme l'éclair à travers les faubourgs, les villages et les campagnes.
Quelle différence entre la locomotion de 1881 et celle de 1892 Grand Dieu! ta créature pourrait-elle jamais concevoir tes bienfaits et lui en conserver une éternelle reconnaissance.
À peine avons-nous laissé Montréal qu'une longue traînée de fumée nous dérobe à sa vue, que déjà nous arrivons à Saint-Jérôme, la patrie du curé Labelle et le château-fort de la famille Rolland.
Nous demeurons stupéfaits à la vue des progrès matériels qui se sont opérés dans cette ville manufacturière depuis l'ouverture de sa grande voie de colonisation pénétrant déjà jusqu'aux confins du beau comté de Terrebonne. En effet, pas un seul comté dans la province de Québec qui ne soit plus favorisé sous le rapport des voies ferrées que celui des Lafontaine, des Morin, des Chapleau et des Nantel. Du midi au septentrion et du levant au couchant le voyageur s'y transporte comme par enchantement. Rien n'indique une prospérité plus grande que cette ramification de chemins de fer due à ces hommes publics qui ont tour à tour favorisé l'avantage personnel des cultivateurs et le développement des arts et manufactures. L'histoire redira leurs bienfaits et tiendra compte de leur génie progressif. (60)
XII
LE CHEMIN DE FER MONTFORT
Une attraction bien vive nous invitait à suivre la vieille route de Saint-Sauveur. Un spectacle nouveau attirait notre attention. Le Dieu du progrès n'est-il pas l'émule du Dieu de Montfort. Celui qui a dit: "Laissez venir à moi les petits enfants" ne doit-il pas leur préparer la route? Qui peut résister au progrès, Dieu aidant?"
Il faut donc rendre le trajet facile à ces petits que le bon Dieu relève de la fange et dont il couvre la nudité pour les ramener au bercail du Bon Pasteur. Que ne feront pas ceux qui ont mis naguère leur confiance en Celui qui peut tout, pour faire prospérer et grandir l'œuvre des Rousselot et des Pères de Marie? Imprégnés de cette idée nouvelle, les bienfaiteurs de Montfort ne font pas les sacrifices à demi. À peine ont-ils obtenu la charte qui les investit des pouvoirs nécessaires, que déjà ils s'organisent, souscrivent un fort capital, en font les premiers versements et procèdent à l'élection des officiers et du bureau de direction.
Avec des hommes comme M. Senécal, président et de ses associés, directeurs élus, l’ouvrage progresse. Vous voyez tout à coup sortir des flancs de la grande voie du "Montréal et Occidental" un tronçon remarquable, qui, semblable à un monstre, traverse, d'un seul bond, la rivière du Nord, s'élance d'une colline à l'autre, puis s'avance hardiment vers la gorge d'une profonde vallée, décrit mille plis et replis, glisse sur la base d'un pic rocailleux qu'il longe en cherchant une issue et va s'étendre nonchalamment sur une plaine verdoyante, en face de l'église de la paroisse de Saint-Sauveur.
On dirait que le monstre terrestre va s'abreuver au ruisseau limpide dont il rebrousse le courant, pour aller ensuite s'enfoncer dans la forêt épaisse, montrant de temps à autre son flanc roux et gravoyeux dans chaque désert ouvert par la cognée du défricheur, puis, se replongeant davantage dans les fentes des roches, les gorges étroites des montagnes, glisse le long de l'onde luisante des lacs qu'il contourne et qu'il enserre dans ses longues spirales. Il rampe en silence, cherchant à dévorer l'espace avant de faire entendre sa voix. Mais, silence! Écoutez dans le lointain le sifflement de la locomotive et le bruit de ses lourds camions (sic) qui parcourent le dos du monstre terrestre épuisé, haletant et désormais engourdi sous le char du progrès et de la colonisation.
les rôles changent. La vapeur et l'électricité se livrent côte-à-côte, une lutte vertigineuse pour venir se confondre ensemble à
Montfort et Arundel où des éléments brilleront bientôt dans toute leur splendeur naturelle.
La lumière électrique, le téléphone et la vapeur auront percé ces forêts inaccessibles et tous ensemble, amis de Montfort, nous louerons et bénirons l'auteur de la nature qui y aura répandu tous ses dons.
Nous avons pu constater de nos yeux les travaux considérables que les efforts personnels et combinés des Senécal, des Brunet, des Froidevaux, des frères Porcheron, des Liberçant et de tant d'autres amis et bienfaiteurs des orphelins de Montfort, ont fait dans ces lieux considérés inaccessibles. Tous sont à l'œuvre et font eux-mêmes des efforts héroïques pour conduire à bonne fin les travaux de défrichement et de terrassements préparatoires à la réception des rails et des moteurs de la route.(sic)
Le pont provisoire est construit sur la rivière du Nord, (à Piedmont) les rails, locomotives et chars plate-forme sont achetés et seront bientôt sur les lieux. Les gouvernements ont spontanément voté les subsides nécessaires pour augmenter le capital de $40,000 déjà souscrit, en partie payé et dépensé sur les travaux. Maintenant, voici le mot d'ordre: Terminer 20 milles de chemins avant la prochaine session. On n'y va pas de main morte! Montfort sera dès lors à deux heures et demie de Montréal.
Les vœux des Révds. MM. Rousselot et Fleurance, lors de la fondation des orphelinats, seront accomplis.
À la vue de ces prodiges de hardiesse et de dévouements, l'on se prend à ne plus douter du lendemain; aussi, saluons-nous avec joie cette vaillante entreprise du chemin de fer de Montfort que nous traversons à la "Côte du Petit Moulin" et nous arrivons sains et saufs à Saint-Sauveur. (6l)
Galerie photos prise du facebook de la Publication de Daniel Brosseau « Il était une fois l’orphelinat Notre-Dame-de-Montfort Laurentides ». Ces photos ont été ajouté au texte ci-haut le 28/11/2025.

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