Autour des cent cinquante ans de Sainte-Adèle

Nous avons des souvenirs qui nous ramènent, pour certains, à notre petite enfance. Ainsi, je me rappelle les propos que Claude-Henri Grignon tenait sur son grand-père Médard, dont l'auberge était juste en face de la petite église du curé Antoine Labelle, à Saint-Jérôme. En ce milieu du XIXe siècle, la première église était là où se trouve maintenant la statue du curé Labelle dans le parc, la cathédrale ayant été construite beaucoup plus tard sur l'emplacement de l'ancien cimetière. Ce cimetière permit d'ailleurs à mon arrière-grand-père Wilfrid, fils aîné de Médard, de faire ses travaux aux pratiques d'anatomie sur quelques cadavres «és» et de devenir le grand médecin qu'il fut à Sainte-Adèle.

Pierre Grignon

L'auberge de Médard Grignon était considérée comme le poste le plus avancé du Nord. Les nouveaux colons y laissaient parfois leur petite famille pour s'enfoncer en pleine forêt à la recherche de leur lot. Ils sortaient de l'auberge, mais n'étaient pas sortis du bois pour autant. Aucune route, aucun chemin digne de ce nom. Seulement des chemins qui marchent, comme les Indiens appelaient les rivières. Après avoir érigé un abri de fortune avec les premiers arbres abattus, ils revenaient à l'auberge pour ensuite retourner s'établir avec femme et enfants.

Aucune route, aucun chemin digne de ce nom. Seulement des chemins qui marchent, comme les Indiens appelaient les rivières.

Ces pauvres colons n'étaient pas dans les Pays-d'en-Haut, mais dans les cantons du Nord nouvellement arpentés à des fins de colonisation. La région prendra beaucoup plus tard le très beau vocable de Pays-d'en-Haut, nom réservé depuis le dix- septième siècle à ce qu'on appelle encore maintenant l'Amérique française, depuis la Louisiane jusqu'aux Grands Lacs inclusivement. Mais ça, c'est une autre paire de manches.

À l'origine, Sainte-Adèle était un immense territoire. Monseigneur Bourget avait érigé en mission le canton d'Abercrombie en septembre 1846. Me Michel Rousseau, greffier émérite de la Ville de Sainte-Adèle, m'apprit un jour que le plus ancien document officiel identifiant le territoire de ce qui allait devenir Sainte-Adèle porte la mention d' Abercrombie . Les townships, donc les cantons, avaient succédé aux seigneuries de l'ancien régime français.

Because la Conquête.

Il faudra attendre la fin de 1852 pour que l'arrivée du premier curé résidant donne à Sainte-Adèle le statut de paroisse. Gardons à l'esprit la notion de «» en pays de colonisation où c'est l'Église catholique, et non l'État, qui détermine l'organisation du territoire. L'Église ouvre des paroisses, qui deviendront presque toutes des municipalités de paroisses, qui donneront naissance à des villages, qui donneront dans certains cas des villes.

Il est passionnant d'étudier la course, pour ne pas dire la guerre, que se livraient catholiques et protestants pour la conquête des cantons du Nord. La carte géographique des Laurentides témoigne de façon éloquente des deux courants de colonisation vers le Nord: l'un, anglo- protestant, le long de la rivière des Outaouais, l'autre, catholique, celui d'Antoine Labelle et de son chemin de fer. On voit ces deux courants se joindre au pied du mont Tremblant.

Sainte-Adèle a donc été plus qu'une simple paroisse au sens canonique du terme. La mission Sainte-Adèle rejoignait même le lac des Sables. On lit dans l'histoire de Sainte- Agathe-des-Monts: «c'est en janvier 1863 que officiellement cette portion, annexée à Sainte- Adèle, se séparait de cette dernière pour devenir la paroisse de Sainte-Agathe- des-Monts.» (p.12)

Dans une prochaine édition de La Mémoire, se transformer littéralement et, par moments, de façon tout à fait amusante. Car si le fondateur a donné le beau nom de sa femme Adèle à ce territoire, une profusion d'autres vocables sont apparus. Une nouvelle gare, un nouveau bureau de poste, une nouvelle église, une famille riche et ambitieuse, des amis du parti au pouvoir, des snobs, des racistes parfois, voilà autant de rapports de forces qui se sont affrontés ou alliés pour conduire aux municipalités actuelles issues de Sainte-Adèle.

Ainsi parlerons-nous de Sainte-Agathe-des-Monts, de Val-David, de Val- Morin, de l'ancienne ville de Mont-Gabriel, de l'ancien village de Sainte- Adèle, dans l'ancienne Paroisse de Sainte-Adèle, d'un démembrement de Sainte-Adèle qui a conduit à un village de compagnie pour ensuite redevenir Sainte-Adèle.

Nous parlerons itou de confusions telles que souvent les gens ne connaissent pas l'étendue, la beauté et la richesse de cette ville magnifique qu'est Sainte-Adèle.

... si le fondateur a donné le beau nom de sa femme Adèle à ce territoire, une profusion d’autres vocables sont apparus.

Pierre Grignon

LM-094-20