Sainte-Adèle Une étrange histoire
- Admin
- 4 juin
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Titre du journal Le Canada, le lundi 20 avril 1908
« Le jeune Grignon, étudiant en droit, ne serait qu’en léthargie. – On retarde la sépulture.
«Des voyageurs arrivés hier de Sainte-Adèle nous rapportent que ce petit village est tout en émoi. Comme on se le rappelle, nous annoncions samedi dernier la mort de Monsieur Raoul Grignon, étudiant en droit à l’université Laval de Montréal. Hier matin était le jour fixé pour les funérailles. Il est rumeur cependant que le jeune Grignon ne serait pas mort et ne serait que dans un sommeil léthargique… »

Le même jour, un autre journal de Montréal titrait sur trois colonnes : Les secrets de la mort, et un autre, La Presse : Il reste serein dans la mort. La nouvelle tragique débordait l’enceinte du petit village qu’était Sainte-Adèle il y a cent ans. Étrange et douloureuse histoire en effet. Autant de manchettes semblables dans les grands journaux de la métropole, entre autres, de Saint-Jérôme ou d’ailleurs en province. La Presse, La Patrie, Le Nord, L’Avenir du Nord, plongent leurs lecteurs dans le mystère de ce drame familial.
Raoul Grignon a 24 ans. Il est le fils du docteur Wilfrid Grignon, dont les journaux ne manquent pas de souligner l’importance dans le monde médical et agricole. Le Gros Docteur de Sainte-Adèle est connu pour ses recherches et ses conférences agricoles à travers le Canada français. Raoul est le troisième des neuf enfants de cette famille éprouvée.
La mère, Eugénie Baker-(Ouellette)-Grignon, est en effet décédée l’année précédente, en 1907. Elle était originaire du Nouveau-Brunswick, où le jeune docteur Wilfrid avait entrepris la pratique de sa médecine, à Bouctouche et à Sainte-Marie de Kent. C’est là que les jeunes amoureux s’étaient rencontrés. Cette mère institutrice de langue française acadienne explique sans doute pourquoi Raoul avait fait ses études classiques au collège Saint-Joseph de Memramcook, fondé par les pères de Sainte-Croix.
Les journaux mentionnaient tous ce détail touchant les études de Raoul. On ne peut rester insensible à la douleur de ces gens littéralement médusés devant cette mort incertaine du jeune homme que l’on disait brillant, studieux et promis à un bel avenir « au service de son pays ».
On peut lire, dans ces journaux de 1908 que j’ai sous les yeux, force détails sur les bons soins et sur les efforts des docteurs Grignon pour établir avec certitude un diagnostic de ce mal étrange qui se présente sous les traits sournois de la mort.
Car il y a là le docteur Wilfrid, père du jeune homme, son fils René, jeune médecin et frère aîné de Raoul, ainsi que le docteur Edmond Grignon, de Sainte-Agathe, frère de Wilfrid et oncle du jeune mourant.
On souligne également la présence du docteur Poirier de Sainte-Adèle. Quatre excellents médecins fascinés sur le plan médical, impuissants face à ce mystérieux mal dont la science ne traite pas, brisés par l’émotion puisque les liens du sang pèsent de façon exceptionnelle par rapport à leur pratique de tous les jours.
Les parents seraient là, veillant à tour de rôle et épiant le visage du mort pour voir s’il ne s’y traduirait aucun signe de vie. Au moment du départ du train de Sainte-Adèle, les choses en étaient encore dans le même état… »
Le jeune Raoul souffrait depuis deux mois des suites de ce que les journaux appellent «le germe de sa dernière maladie» qu’il aurait pris à Montréal lors des élections municipales où il était allé appuyer des amis candidats. Sans nous attarder aux détails pourtant sobrement rapportés par les journaux, citons le cas de cette jeune sœur de Raoul qui est certaine qu’il vit, ou ces manipulations que l’on fait pour se donner toutes les assurances du décès sans pouvoir en conclure médicalement. Les pulsations cardiaques imperceptibles, la raideur cadavérique qui se faisait attendre, et d’autres signes associés à la vie plus qu’à la mort.
Là, le Dr (Edmond) Grignon de Sainte-Agathe, oncle du défunt, aurait ordonné d’enlever le couvercle du cercueil et de le laisser ainsi.
On décida de garder le cercueil ouvert pendant trois longues journées d’une veille incessante. On peut lire dans Le Canada : «On l’a tout de même transporté au cimetière. On a placé la bière dans le charnier.
On finit par se résoudre finalement à visser le couvercle du cercueil et à porter la bière en terre. Trêve de détails morbides. Je n’y trouve aucun plaisir. Nous sommes à un siècle de ce triste épisode de la vie fragile d’un village et les enseignements à caractère historique demeurent le seul motif valable de publier mon papier sous l’égide de la Société d’histoire et de généalogie des Pays-d’en-Haut.
Je laisse aux historiens de la médecine le soin d’apporter quelques lumières sur ce sombre événement. Aussi conclurai-je mon récit sur une note généalogique qui n’est pas dénuée d’intérêt pour la connaissance de notre région.

J’ai fait mention plus haut du décès de mon arrière-grand-mère, Eugénie Baker-(Ouellette)-Grignon, en 1907. J’ai souligné ses origines acadiennes parce que c’est précieux dans notre famille. Nous sommes restés attachés à la vie française, donc plus que simplement francophone, du Nouveau-Brunswick.
J’ai découvert ces racines profondes il y a quelques années à peine. Avec beaucoup d’émotion. Des anciens de Sainte-Marie-de-Kent, de Bouctouche ou de Baker Brooke m’ont parlé avec respect de ce qu’ils avaient entendu du jeune docteur Wilfrid Grignon. Non, il n’a pas «erré» avant de revenir ici, comme l’écrivait une imbécile notoire, « quelle honte » à l’occasion du 150e anniversaire de Sainte-Adèle.
Il a plutôt soigné les pauvres, il a aussi conseillé les Acadiens, il les a guidés dans la mise sur pied d’organismes communautaires, agricoles, ou de pêcheurs, de types coopératifs. Il leur a enseigné les soins des animaux de la ferme, le cycle des cultures et l’enrichissement des races bovines et chevalines. On reconnaît là le disciple d’Antoine Labelle, sur l’insistance duquel il revint dans les Cantons du Nord pour travailler à l’œuvre de la colonisation.
Généalogie également de retrouver mon grand-père, le docteur René Grignon, frère de Raoul, mais aussi parrain de son petit frère qui a 14 ans en 1908, qui s’appelle Eugène-Henri, bien avant de s’appeler Claude-Henri. On voit le double drame que vécut Claude-Henri Grignon à ce jeune âge : décès de sa mère en 1907, mort bouleversante de son frère en 1908.
Généalogie aussi de souligner qu’un autre fils de Wilfrid, Louis-Marie, sera aussi médecin, à Mont-Laurier celui-là. Quant à ce docteur Edmond Grignon, il fut une figure marquante de Sainte-Agathe, médecin, historien, écrivain sous le pseudonyme de Vieux Doc. Père de onze enfants, dont Henri, qui sera médecin à Saint-Jovite.
Tous ces docteurs Grignon étaient apothicaires, d’où ce chapelet de pharmacies Grignon, à Mont-Laurier, à Saint-Jovite, à Sainte-Agathe et à Sainte-Adèle. Plusieurs autres docteurs Grignon de cette même souche de Médard, aubergiste à Saint-Jérôme, ont soigné les pauvres, ont aidé des générations de femmes à donner naissance à des milliers de petits Canayens.
LM-110-15
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