Sainte-Adèle que j’aime
- Admin
- 30 mai
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 juin

Sous le thème Sainte-Adèle que j’aime, le chroniqueur, conférencier et ex-maire Pierre Grignon nous livre ses réflexions sur l’histoire et la vie de son village qui est aussi une ville. En trois volets, ce passionné de la petite histoire nous fera revivre quelques-uns des aspects déterminants de l’identité bien spéciale de Sainte-Adèle.
Nous avons des souvenirs qui nous ramènent, pour certains, à notre petite enfance. Ainsi je me rappelle les propos que Claude-Henri Grignon tenait sur son grand-père Médard, dont l’auberge se situait juste en face de la petite église du curé Antoine Labelle, à Saint-Jérôme. En ce milieu du XIXe siècle, la première église de Saint-Jérôme était là où se trouve maintenant le monument du curé Labelle dans le parc qui porte son nom. La cathédrale fut construite dans l’ancien cimetière en 1900, neuf ans après le décès d’Antoine Labelle. Ce cimetière qui permit d’ailleurs à mon arrière-grand-père Wilfrid, fils aîné de Médard, de faire ses travaux pratiques d’anatomie sur quelques corps « empruntés » de la fosse commune et de devenir le grand médecin qu’il fut à Sainte-Adèle. Il existe d’ailleurs une seule photographie prise à Saint-Jérôme entre 1900 et 1902, montrant au loin les deux clochers si proches l’un de l’autre.
L’auberge de Médard Grignon était considérée comme le poste le plus avancé du Nord. Les nouveaux colons y laissaient parfois leur jeune famille pour s’enfoncer en pleine forêt à la recherche de leur lot. Ils sortaient de l’auberge, mais n’étaient pas sortis du bois pour autant. Aucune route, aucun chemin digne de ce nom. Seulement des chemins qui marchent, comme les Indiens appelaient les rivières. Après avoir érigé un abri de fortune avec les premiers arbres abattus sur leur lot, ils revenaient à l’auberge pour ensuite retourner s’établir en pleine forêt avec femme et enfants.
Ces pauvres colons n’étaient pas dans ce qui s’appellera cent ans plus tard les Pays-d’en- Haut, mais bien dans les Cantons du Nord, nouvellement arpentés à des fins de colonisation. Les «pays d’en haut», sans majuscules ni traits d’union, appartenaient dès le dix-septième siècle à ce qu’on appelait l’Amérique française, depuis la Louisiane jusqu’aux Grands Lacs inclusivement. Ces «pays» étaient ceux des nations amérindiennes, pays parcourus par les «voyageurs», par les coureurs des bois, par les missionnaires, par les militaires et les administrateurs venus de France. Le pays des Illinois, le pays des Cris, celui des Sauteux, des Assiniboines, etc.
Ces pays étaient jalonnés de postes de traite, de comptoirs commerciaux et de forts militaires stratégiques. Ils allaient jusqu’au grand fleuve Colbert devenu le Mississipi après la cession de ces trop grands espaces par la France. Les pays d’en haut avaient une capitale : Michillimakinac. Les documents historiques et les œuvres littéraires attestant l’appellation ancienne «pays d’en haut» foisonnent.
À l’origine, Sainte-Adèle était un vaste territoire au nord de la seigneurie des Mille-Îles. La paroisse de Saint-Sauveur faisait partie de cette seigneurie et en constituait la limite septentrionale. Nous y reviendrons. Monseigneur Bourget avait érigé en mission le canton d’Abercrombie, - bie et non by -, en septembre 1846. Le plus ancien document officiel identifiant ce qui allait devenir Sainte-Adèle porte la mention « Township of Abercrombie ». Les townships, de type britannique, appelés les cantons, avaient succédé aux seigneuries de l’ancien régime français. Because la Conquête… On observe que les cantons portent très souvent des noms anglais alors que les seigneuries étaient règle générale de nomenclature française.
Il faudra attendre la fin de 1852 pour que l’arrivée du premier curé résident, Éphrem Thérien, donne à Sainte-Adèle le statut de paroisse. Gardons à l’esprit la notion de « mission » en pays de colonisation où c’est l’Église catholique, et non l’État, qui détermine l’organisation du territoire. L’Église ouvre des paroisses qui deviendront souvent des municipalités de paroisses; elles donneront naissance à des villages et, dans certains cas, des villes.
Il est passionnant d’étudier la course, pour ne pas dire la guerre, que se livraient catholiques et protestants pour la conquête des Cantons du Nord. La carte géographique des Laurentides témoigne de façon éloquente des deux courants de colonisation vers le Nord : l’un, anglo- protestant, le long de la rivière des Outaouais et l’autre, celui d’Antoine Labelle et de son projet de chemin de fer. On voit ces deux courants se joindre au pied du mont Tremblant.
Sainte-Adèle a donc été plus qu’une simple paroisse au sens canonique du terme. La mission de Sainte-Adèle rejoignait même le lac des Sables. On lit dans l’histoire de Sainte-Agathe-des-Monts : « C’est en janvier 1863 qu’officiellement cette portion, annexée à Sainte-Adèle, se séparait de cette dernière pour devenir la paroisse de Sainte-Agathe-des-Monts ».
Le grand territoire de Sainte-Adèle se transformera littéralement par moments, de façon tout à fait amusante. Car si le fondateur a donné le beau prénom de sa femme Adèle Raymond à ce territoire, plusieurs autres vocables sont apparus. Trois gares à nommer à Sainte-Adèle, trois bureaux de postes, quelques chapelles, autant d’appellations qui n’ont pas été sans créer une certaine confusion. Ajoutons quelques familles riches et ambitieuses, des anglophones et des Canadiens français vivant dans deux solitudes et nommant les mêmes lieux de façons différentes, des amis du parti au pouvoir, etc…
Voilà autant de rapports de force qui ont conduit aux municipalités actuelles ou disparues, toutes issues de Sainte-Adèle, Sainte-Agathe-des-Monts, Val-David, Val-Morin, ville de Mont-Gabriel et l’ancien village de Sainte-Adèle. Dans l’ancienne paroisse de Sainte-Adèle, un démembrement de Sainte-Adèle a conduit à un village de compagnie, Mont-Rolland, pour ensuite redevenir Sainte-Adèle, et beaucoup plus encore.
Le Conseil municipal de Ville d’Estérel, qui tenait à faire partie de Sainte-Adèle, a ainsi contré sa fusion «forcée» avec Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Il a déjà adopté une résolution en bonne et due forme, annexant rien de moins que la totalité du territoire de la ville de Sainte- Adèle; un sommet de la « démocratie » municipale des années 1990.
Souvent les gens, même d’ici, ne connaissent pas l’étendue, la beauté, la diversité, l’intense vie artistique et touristique qui font la richesse de cette ville magnifique qu’est Sainte-Adèle. Des anecdotes savoureuses témoignent de la place que Sainte-Adèle occupe dans la culture populaire. La fiction d’une œuvre littéraire de 1933 s’est imposée dans l’imaginaire collectif au point de nommer Pays-d’en-Haut ce qui était les Cantons du Nord, et d’imposer à l’Histoire des personnages qui, à l’origine, étaient purement romanesques.
Un courriel me demandait : «En quelle année Séraphin Poudrier a-t-il été maire de Sainte-Adèle ? » La question n’était pas « Séraphin aurait-il vraiment existé ? ». Pour bien des gens, la question ne se pose plus. Comment répondre à une telle question sans briser des rêves, des mythes devenus réalités…
À suivre … dans le bulletin 108 de l’automne 2008.

LM-107-03
Kommentare