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La Royal Canadian Air Force s’installe à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Par Louise Dupuy Walker, Ph. D. Education (Orthopédagogie), et professeure retraitée de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM)


Description des stages de formation des officiers, d’avril à juillet 1943,

À partir des lettres de René Dupuy à son épouse Gabrielle Maltais — UN TEXTE INÉDIT


Contexte de la rédaction de ce document


Après le décès de mes parents, je découvre, bien dissimulée, l’existence d’une imposante correspondance entre mes parents: Gabrielle Maltais et René Dupuy. Ces lettres sont rédigées au moment où ils devaient vivre éloignés l'un de l'autre à cause des affectations de travail de ce dernier. La lecture de ces documents s'est avérée particulièrement intéressante non seulement pour décrire le lien affectif qui les unissait, mais aussi pour fournir une description au quotidien des événements qu’ils avaient à vivre dans la société où ils étaient insérés que ce soit à Baie- Comeau, en Angleterre, à La Malbaie, à Montréal et dans le cas présent à Sainte-Marguerite-du-Lac Masson, plus précisément au Domaine d’Estérel où s'effectuera le stage de formation de René Dupuy comme nouvel officier de la Royal Canadian Air Force (RCAF), du 27 mai au 7 juillet 1943.


Il faut souligner ici que le complexe commercial et hôtelier de l'Estérel, propriété du baron Louis Empain, avait été confisqué après l’invasion de la Belgique par l’Allemagne au début de la Seconde Guerre mondiale en mai 1940. En 1943, il sert alors de base militaire pour la Royal Canadian Air Force. Du fait que le Canada était alors en période de guerre et que beaucoup de documents sont encore sous-scellés, cette description de ce qui se passait à l'intérieur de ces bâtiments constitue une expérience très peu documentée jusqu'à maintenant.


L’auteur de la correspondance qui décrit la formation des officiers à l’Estérel

René Dupuy en uniforme de la RCAF (1943).
René Dupuy en uniforme de la RCAF (1943).

René Dupuy est un ingénieur civil qui a postulé pour faire un stage rémunéré en Angleterre et recevoir une formation à l’inspection et la supervision de la construction d’avions de combat. Nous sommes alors en septembre 1939 au début de la Seconde Guerre mondiale. Le Canada vient tout juste de signer une entente de collaboration avec le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande afin de fournir du personnel et des escadrons militaires pour contrer les avancées de l’Allemagne nazie. Plusieurs villes canadiennes assemblent d'ailleurs des avions de combat.


Au retour d'Angleterre, en janvier 1940, René Dupuy est engagé par la Canadian Vickers à Montréal. Il se marie au mois de juin suivant. En mars 1942, il est transféré à Fort William-Port Arthur pour ins- pecter les avions de la compagnie Canadian, Car and

Foundry. Son épouse et moi-même sa fille (Louise alors âgée de 4 mois) devons déménager de Montréal à Port Arthur pour le retrouver. À peine étions-nous installés qu'il reçoit une autre assignation qui le force à revenir à Montréal pour la compagnie Fairchild Engine & Airplane Corporation établie à Longueuil.

On ne sait pas précisément ce qui a motivé René Dupuy à l’automne 1942 à demander à la Royal Canadian Air Force (RCAF) de se joindre à cette unité. On peut présumer qu’il s’assure ainsi d’un revenu constant au lieu de dépendre des contrats des constructeurs d’avions qui l'obligent, aux dépens de sa famille, à sans cesse déménager d'une ville à l'autre au Canada, lorsqu'elles obtiennent des contrats de construction d'avions.


Au printemps suivant, le 2 avril 1943, une lettre en provenance du secrétariat de la défense nationale lui apprend qu’il est accepté comme membre d’une réserve spéciale (Non flying list) et qu’il sera affecté comme ingénieur en aéronautique avec le rang de Pilot Officer. À cet effet, il devra suivre une formation comme officier. Il devra attendre, à la base de la RCAF de Lachine (le No 5 Manning Depot), avant d’être convoqué à se rendre à l’Estérel à cette fin (1).


Il faut souligner ici que son épouse et sa fille doivent demeurer à Port Arthur d'où la correspondance presque quotidienne entre les deux. On ne fera état, dans le présent document, que des informations sur le vécu militaire de René Dupuy en y expurgeant les faits concernant soit la vie intime de son couple ou les relations avec les autres membres de sa famille. Les informations seront regroupées par thèmes afin de donner une image la plus précise possible de l’implication de Sainte-Marguerite- du-Lac-Masson dans la formation des officiers de la RCAF.

Voici donc le récit des stages de formation à la Royal Canadian Air Force au domaine de l’Estérel à Sainte- Marguerite-du-Lac-Masson. L’adresse postale des offi- ciers en formation sera : No1 O.T.S(2). RCAF Domaine de l’Estérel, Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.


Le 27 mai 1943, c’est un départ pour l’Estérel


Enfin arrivés à Sainte-Marguerite(3)


Debout à 6 heures du matin, nous prenions le train vers 9 heures pour arriver ici vers 11 heures. De la gare vers ici, voyage en camion. Nous sommes reçus au « punch » (brandy et vin) dans le mess(4) où l’officier commandant est venu nous rencontrer (photo 1 présentée en fin d’article). Des photos par des reporters du Toronto Star furent prises à différentes occasions(5). — 27-05-43.


La compilation des notes de René Dupuy nous fait croire qu’il y aurait eu à l’Estérel au moins 4 groupes de formation entre le 13 mai et le 21 juillet 1943(6). Une alternance aux quinze jours des arrivées, le jeudi et des départs, le mercredi. Environ 50 candidats(7), de tous âges et de toutes sortes de formations antérieures en provenance de diverses provinces canadiennes(8).


Dans notre cours, nous sommes environ cinquante dont quatre chapelains, une dizaine de docteurs, une vingtaine d’ingénieurs, dont la plupart sortent des rangs et ont passé par l’École de Montréal et le reste de différentes autres branches. Quelques-uns sont plutôt âgés, dans la cinquantaine, et la moyenne d’âge dans notre groupe est plutôt élevée. —16-06-43.


À la question si nous sommes plusieurs Canadiens français, je répondrais quatre ou cinq dans notre groupe et quelques autres dans les autres groupes. Par contre, dans le personnel permanent ou chez les aviateurs, je crois qu’il y en a environ la moitié. Parmi les officiers du Staff, aucun et parmi les étudiants, je ne peux pas dire que le nombre est satisfaisant — 22-06-43.


Le lieu du stage et ses caractéristiques


Voici la description qu’en fait René Dupuy. Nous sommes logés dans le Ski Lodge (photo 2) le cours précédent ayant eu les chambres à l’Hôtel tandis que le cours suivant aura lieu dans les chalets. Nous sommes bien installés.—27-05-43. L’accommodation, quoique pas très spacieuse, est confortable (photo 3). Je partage une chambre du Ski Lodge avec un monsieur assez âgé. Nous y avons lavabo et bureau, table pour écrire et garde-robe. Nous prenons nos repas à l’Hôtel où se trouve aussi le mess des officiers. Nos cours ont lieu dans une espèce d’amphithéâtre du bâtiment commercial (photo 4).

Comme tu(9) sais, la région est très montagneuse et comme l’Hôtel est sur le sommet. Il nous faut monter et descendre la côte trois fois par jour, cela prend du souffle de ceux qui sont habitués aux prairies.


Je t’assure que l’Hôtel s’en va à l’abandon et qu’il va falloir beaucoup de nettoyage et de réparations avant de recommencer à opérer sur une base commerciale.

— 28-05-43.


Au Ski Lodge, nous avons aussi une jolie salle de lecture avec foyer à part du hall d’entrée qui est aussi bien meublé.— 28-05-43.


Ici, il fait très beau durant le jour, mais les nuits sont fraîches de même que les matinées jusque vers 10 heures. Les maringouins ont fait leur apparition. Il faut presque se barricader à la soirée pour échapper à leur morsure.— 31-05-43.


Le cadre général des opérations


Dès son arrivée, René Dupuy remarque que les journées sont très remplies durant les heures de travail. Nous avons quatre heures de cours ou de drill le matin et quatre heures l’après-midi avec arrêts de dix minutes entre chaque cours exempté à dix heures et à quatre heures alors que les arrêts sont d’un quart d’heure.

—28-05-43.


Les exercices de marche militaire (la drill), le port de l’uniforme et les parades


René compare tout de suite son expérience à celle qu’il a connue à la base de Lachine. Les instructeurs sem- blent plus humains et semblent vouloir nous aider au lieu de nous crier commandement après commandement et de passer des remarques plus ou moins désobligeantes à chaque erreur. Ici, si l’on fait une erreur, l’on vous la corrige immédiatement, mais de telle manière que l’on se sent encore à l’aise et que l’on essaie de s’améliorer plutôt que de se révolter — 28-05-43.


L’expérience de la drill dépend énormément de la température dans laquelle elle s’insère. Il a fait encore une température très chaude aujourd’hui et c’est plutôt brûlant sur la drill au soleil — 23-06-43.

Ici, il a plu toute la journée et les uniformes s’en ressentent, de sorte que ce soir encore, il y a une partie de pressage pour la parade de l’officier-commandant demain matin — 05-06-43.


Cet apprentissage de la marche militaire s’exerce ultimement dans des parades hebdomadaires(10) dirigées par l’officier commandant. Toutefois ces dernières seront souvent précédées d’inspections soit de l’uniforme soit des chambres ce qui amènera un certain niveau d’anxiété chez les stagiaires.


Voici les témoignages de René à cet effet : Tu devrais voir la partie de pressage ce soir afin d’être prêt pour demain. Ils sont très sévères à ce sujet et nous ne savons jamais quand il y aura une inspection non officielle.


Aujourd’hui par exemple, on nous fit l’inspection et tous les défauts de tailleur entre autres furent remarqués avec conseils de faire modifier ces défauts avant de serrer l’uniforme bleu. La coupe des cheveux n’échappe pas à leurs yeux et il en est de même pour le frottage des boutons ou des chaussures. Tout doit paraître en parfait ordre et être suivant les règles établies — 31-05- 43.


Justement, il faut connaître les différentes règles qui s’appliquent sur le port de l’uniforme afin de ne pas être pris en défaut à ce sujet. Pour les chemises kaki il faut avoir les manches relevées à mi-chemin entre l’épaule et le coude alors je les porte de cette manière, tout le temps — 09-06-43.


La régularité des exercices de marche suscite une certaine lassitude chez les militaires en formation. Quelques fois, les tentatives de l’officier commandant pour briser la routine ne tournent pas au meilleur. En voici deux exemples :


Ici il fait beau et tel qu’annoncé, nous avons eu ce matin la parade de l’officier commandant. Ordinairement durant cette parade on nous amène faire une marche dans les environs et ce matin, il lui a pris la fantaisie de nous faire passer au travers le bois sur une faible distance, mais comme c’était boueux, ce fut assez pour salir nos chaussures pleines de boue et je t’assure qu’on était de bonne humeur après s’être donné tant de trouble pour que tout soit parfait — 09-06-43.


Et celui-ci qui est plutôt loufoque :


Ce matin nous avons eu une pratique de chant pour apprendre quelques chansons de marche pour accompagner nos sorties lors de la parade de l’officier- commandant. Imagine les détails ! Depuis ce temps, tout le monde chante partout et l’on nous demande maintenant de confiner le chant au temps des marches.

— 18-06-43.


Si l’apprentissage de la drill est un élément essentiel de la formation des officiers, elle demande également une excellente santé. À cet égard, des journées sportives contribuent à la fois au conditionnement physique et à l’esprit de groupe.


Journées d’activités sportives


Une journée appelée Sporting Day est organisée chaque semaine(11). Voici comment René décrit leur programme : (photo 5). Cet après-midi, nous avons eu la fameuse fête sportive. Chaque classe était divisée en quatre groupes et à toutes les 1/2 heures, nous changions de sport et opposés à des groupes des autres classes. Il y eut Volley Ball, sport joué fréquemment à Polytechnique, Dodgeball qui consiste à essayer d’attraper l’adversaire avec le ballon et alors il est hors-jeu.


Le procédé consiste à les éliminer dans le moins de temps possible et alors les adversaires essaient la même chose à leur tour et ceux qui finissent dans le moins de temps sont les gagnants — Il eut aussi Push Ball qui est une sorte de hockey avec ballon, mais sans gorets. On ne peut se servir que de nos mains, mais sans retenue de ballon; il faut frapper le ballon et essayer de compter des buts — Enfin, il y eut courses à relais de différentes sortes, toutes avec un ballon. L’après-midi se passe donc assez vite, mais ce fut très fatigant, car c’est un feu roulant de jeux pendant près de trois heures. Plusieurs sont plutôt fourbus et moi-même, je me sens raide un peu n’ayant pas fait d’exercice aussi violent depuis as- sez longtemps — 03-06-43.


Voici ce qu’il en dit la semaine suivante : Notre classe ne figure pas trop bien, car nous avons plusieurs qui sont plutôt âgés ou qui n’ont jamais fait de sports. — Le cours précédent semble mieux figurer à ce sujet — 08-06-43.


Ces exercices, si bénéfiques soient-ils, occasionnent souvent des blessures et des besoins de périodes de repos.


Aujourd’hui c’était l’après-midi de sports et j’ai encore réussi à me retourner le même pied. Cette fois-ci cependant c’est mieux que l’autre fois et je ne boite pas quoique je ressente une certaine douleur qui va bientôt disparaître. Ne t’inquiète pas à ce sujet, car je t’assure que je ne suis pas le seul: nous en avons eu jusqu’à dix dans notre groupe seulement qui devraient se faire dis- penser de drill et sports pour un certain temps. — 22-06-43.


Un corps médical est prêt pour répondre à ces problèmes journaliers, mais celui-ci est encore plus actif dans le domaine de la prévention. René aura décrit avec beaucoup de précision les séances de vaccinations à répétition qu’il aura dû subir lors de son précédent séjour à Lachine.


À peine remis d’une piqûre, il en arrive une autre et celle d’hier m’a mis mal en train. Hier soir, il a fallu me mettre des pansements humides sur mon bras gauche qui est enflé et raide comme une planche et de plus je me suis mis au lit à 9 heures et 1/2 me sentant fiévreux et frileux. Aujourd’hui c’est un peu mieux, mais pas beaucoup et je trouve la drill plutôt dure aujourd’hui. C’est le sérum contre la diphtérie qui produit cet effet — Lachine, 18-05-43.


Quant à la question de piqûres, je crois en avoir encore quatre à recevoir, deux appelées TABT(12) et deux autres pour la diphtérie. Mon bras est complètement remis et apparemment il est temps qu’ils recommencent. — Lachine, 24-05-1943.


Il croyait bien en avoir fini avec ces piqûres. Mais non, la torture continue à l’Estérel. Depuis mon arrivée, j’ai eu deux autres piqûres, une de TABT(12) et l’autre de diphtérie, mais cette fois-ci, il n’eut aucune réaction. Il reste encore deux à avoir une de chaque et ce sera enfin fini. — 16-06-43.


La formation théorique


Pour connaître le contenu des cours théoriques, il faudra se fier à trois sources : les objectifs du stage tels que formulés par la RCAF, l’article du Toronto Star et les titres des examens qu’il devra passer en fin de stage.


Le journal ontarien du vendredi 4 juin 1943 rapporte que les officiers devront apprendre: comment se conduire comme officier, les principes de leadership, les lois affé- rentes à la discipline dans l’ Air Force, l’organisation des bureaux. René fera état des sujets suivants : Demain deux ou trois examens, l’un des sujets Leadership et mo-rale et il nous faudra encore écrire un essai de 3 pages sur le sujet de La guerre et ses causes, un autre sur Service Étiquette et l’autre possible sur la Drill. — 30-06-43.


Cette formation théorique est aussi contrôlée par des examens-surprises qui forcent les stagiaires à étudier le soir après une journée bien occupée. Hier on a voulu nous donner un examen écrit par surprise à 1/4 d’heure d’avis et d’étude avant l’examen — 06-06-43.


À ces examens imprévus s’ajouteront les dernières se- maines du stage qui seront consacrées à ces examens : Il est fort probable en effet que durant les deux dernières semaines nous soyons plutôt occupés aux examens et à l’étude — 16-06-43.


Il y aura aussi des examens sur la formation pratique où les stagiaires devront démontrer leurs capacités de prendre en charge un groupe de militaires. Je ne crains pas les examens écrits, mais je n’apprécierais pas au- tant les examens pratiques de drill où il nous faut com- mander l’escouade et lui faire exécuter à peu près tout ce qu’on peut trouver ou occuper chaque position l’une après l’autre et exécuter les mouvements correctement à chaque hurlement du commandant. — 06-06-43.


À toutes ces épreuves de contrôle s’ajouteront, pour évaluer la performance des officiers à ce stage, les notes consécutives aux diverses inspections soit de l’uniforme (comme on l’a vu précédemment), soit celle de l’ordre dans les chambres. Comme le mentionne René Dupuy, ces résultats sont mis au dossier du candidat. Tout est surveillé dans les moindres détails — 02-06-43 sur un total de 1000 pour examens, 200 proviennent de l’appréciation donnée par les instructeurs sur leurs observations personnelles et l’instructeur ce matin a men- tionné que les noms donnés pour les meilleurs et les pires seraient gardés en filière — 03-06-43.


Même si les stagiaires sont pleinement occupés, l’ennui de leur famille apparaît quand la routine lasse. Aussi les membres du groupe ont besoin de divertissements. Re- gardons ce qu’on leur propose.


Les divertissements


Il y a du cinéma deux fois la semaine (ce que René appelle théâtre). Deux fois la semaine, il y a du théâtre et apparemment pour ceux que cela intéresse, il y a quelques divertissements presque tous les soirs, mais il peut arriver que l’on soit plutôt fatigués, car nos journées sont bien remplies et vont de 8 heures le matin à 6 heures du soir, six jours par semaine. Pas de congés de 48 ou 36 heures — 28-05-43.


Les films proposés sont d’actualité. Toutefois René Du- puy estime que même si le théâtre est assez joli, l’acoustique ou la reproduction ne sont pas fameuses.

On y présente des comédies comme Lady of Burlesques, Weekend in Havana, des films de guerre comme Hitler’s Children, Assignment in Brittany ou d’horreur comme Nightmare. Il est aussi possible de se retrouver dans une salle aménagée avec des jeux de société, cartes, ping-pong. Ce soir, il fait un brouillard plutôt épais et comme il n’y avait rien de mieux à faire, des compagnons ont réussi à me convaincre à les joindre dans une partie de bridge. Au commencement de la soirée, j’avais aussi découvert une table de ping-pong et j’ai joué quelques parties. Ce sont là à peu près les seuls moyens de se désennuyer un peu à part le travail à la soirée — 01-06-43.


Mais en après-midi de fin de semaine, le salon des officiers (Mess Hall) est ouvert aux épouses et amies et même semble-t-il, à une occasion, à des filles de Saint- Jérôme. Ces activités ne sont pas très prisées par notre interlocuteur.


Les samedi soir et dimanche après-midi de 4 à 6.30, le mess des officiers est ouvert aux amis et amies et plu- sieurs ont leur femme ici passant la soirée à cet endroit où il y a danse, musique, parties de cartes, etc. — 06-06-43.


Ce soir je n’ai pas remué de ma chambre quoique comme à l’habitude il y ait un « open house » au « mess » et que cette fois-ci quelques-uns se soient organisés pour avoir un groupe de jeunes filles de Saint- Jérôme pour la fin de semaine. Pour ma part je n’y vois rien de bon et je n’ai aucune envie d’aller regarder faire les autres — 12-06-43.


Une autre source de divertissement tient aux cérémonies entourant les départs des groupes ayant terminé leurs 42 jours de formation.


Les célébrations des finissants


Le matin précédant le départ d’un groupe, il y a un pas- sage de la responsabilité de la prise en charge de la cérémonie du matin à ceux qui deviendront les prochains finissants. Nous serons alors les finissants et nous prendrons en charge différentes fonctions telles que la cérémonie du matin lorsque nous attachons le drapeau de la RCAF au mât pour le faire flotter le reste de la journée. C’est toute une cérémonie assez imposante et nous allons prendre en charge du commandement à différentes positions, chacun notre tour — 21-06-43.


Au soir de cette journée, il y a un souper spécial en leur honneur, le Mess diner qui est suivi d’une soirée d’adieu dont la facture (plus ou moins réussie) varie selon les groupes. Pour le groupe 1 ce fut … ce qu’ils ont appelé concert, mais réellement c’était une imitation à un studio à la radio, avec annonces, sketches, musique et chan- sons. À mon point de vue, ce ne fut pas des plus réussis, mais cela aide à passer le temps. Il est vrai aussi que les moyens à notre disposition sont plutôt limités et aussi nous avons peu de chance de répéter ou de s’exercer, mais enfin je trouve que l’esprit montré dans les sketches ou dans les farces était plutôt lourd... Il y eut une mimique de l’Information phase, Quiz program — 08-06-43.


Il appréciera davantage la prestation de son groupe. Hier soir, je suis allé à la représentation des finissants et c’était très bien. Tous ont bien ri et se sont amusés. La soirée fut donc plus intéressante que d’habitude. — 22-06-43.


En dépit de tout ce que fournit la RCAF pour s’assurer de la bonne marche du stage, il n’en reste pas moins que les militaires en formation éprouvent des préoccupa- tions qui sont aussi des sujets de frustrations.


La rémunération


Comme mentionné dans l’article du Toronto Star, les stagiaires sont rémunérés lorsqu’ils participent au stage. Toutefois, cette rémunération est loin d’être constante ce qui inquiète René et frustre davantage son épouse Gabrielle qui n’a que cette ressource pour arriver à vivre avec sa fille à Port Arthur-Thunder Bay, Ontario. J’espère recevoir une partie de ma paye mardi au plus tard, mais comme tu dis, ils ne sont jamais pressés pour payer —11-06-43.


Ce à quoi Gabrielle ajoutera à la fin du stage : Je suis allée à ma banque me chercher de l’argent pour payer le loyer. Mon compte commence à être bas depuis que tu m’as envoyé en juin le $ 60. Je n’ai pas reçu la maudite allocation et te dire que je déteste la RCAF, ce n’est pas le mot. Si les épouses attendent l’argent du gouverne- ment, il faut crever ou travailler. Il va sans dire que je ne fais pas de folles dépenses, mais le train de vie est si coûteux — 05-07-43.


L’irrégularité du courrier


La régularité dans l’arrivée du courrier est très préoccu- pante pour ces stagiaires qui sont éloignés de leur fa- mille. La poste (la malle selon René Dupuy) arrive au Mess Hall, aussi semble-t-il que les militaires s’entraident pour aller la récupérer. Il arrive assez souvent que j’aille chercher la malle, mais par contre quand les autres y vont, ils apportent tout ce qu’ils peuvent trouver et de même nous évitons de grimper la côte inutilement. — 11-06-43.


Toutefois, elle n’arrive pas nécessairement tous les jours et comme il dit : Je ne comprends pas les retards de malle, mais enfin je n’y peux rien et il faut se sou- mettre — 03-06-43 et je dois faire la disette de nouvelles — 23-06-43.


La bouffe


La qualité de la nourriture est sujette à des critiques. Même si l’article du Toronto Star mentionne que les mili- taires vivent dans un paradis dans un hôtel de luxe, comme dira René, quoiqu’évidemment comme dans tous les journaux, il y eut assez d’exagérations. —08-06-43. Effectivement la description qu’il en fait ne ressemble pas à celle d’un resto 4 étoiles. Il y a longtemps que je n’ai pas mangé, car quoique la nourriture soit passable, il n’y a rien d’extraordinaire et cela ressemble à de la grosse nourriture plus qu’à autre chose. Un lot de stews et s’il y a un roast-beef, cela ressemble plus à la semelle de botte en couleur (c’est trop cuit). Nous avons cependant un assez bon choix de légumes, mais je me vois forcé parfois de manger des choses que je ne mangerais pas ordinairement telles que choux-fleurs, soupe aux pois ou aux fèves, poisson fumé, etc. pour apaiser mon appétit et boire du lait, car l’eau n’est pas bonne et le thé n’arrive qu’à la fin — 18-06-43.


DES SOURCES DE PRÉOCCUPATIONS ET DE FRUSTRATIONS


Un survol de l’impact probable de la présence de la RCAF pour les citoyens de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson


Il semble que l’impact de la présence des militaires au Domaine de l’Estérel ait été peu documenté pourtant il est facile d’imaginer que la vie des citoyens de Sainte- Marguerite a dû avoir été passablement modifiée à cause de cet influx massif de personnes gravitant autour de l’Estérel.


Alignons les faits : selon Stephen Harris membre de la RCAF(13), la propriété de Sainte- Marguerite aurait été acquise en janvier 1943 pour effectuer l’entraînement des officiers jusqu’au 30 avril 1944. Il confirme les infor- mations de René Dupuy au sujet du nombre de participants, de la durée des stages et de leur fréquence. À cet effet, il pourrait bien avoir eu de 100 et même 150 militaires stagiaires (lors du stage 3 en juin) en même temps à l’Estérel. Ces nombres ne comprennent même pas ceux des cadres, des formateurs, des employés à l’entretien, aux cuisines, les services de transport de matériel et des va-et-vient à la gare tant pour le courrier que pour le transport de tout ce monde.


À cela, il faut noter que les communications avec la population doivent probablement se faire en anglais, car la majorité des stagiaires et des cadres de la RCAF est anglophone. D’ailleurs René Dupuy note que les collègues francophones viennent quelquefois à la rescousse : au début de la soirée, des compagnons qui voulaient se faire faire des réparations chez la modiste du village m’ont demandé d’aller leur servir d’interprète

— 06-06-43.


De plus, l’ouverture du Mess Hall le dimanche permet une certaine mixité des rapports avec ceux et celles qui vivent dans les Laurentides, car René a aussi mentionné que plusieurs conjointes des militaires ont loué des résidences près du lieu de stage.


La pratique religieuse des participants a certainement un impact. Les catholiques, comme mon père, assistent à la messe. Ce matin comme d’habitude, je suis allé à la messe au village, à 8 heures — 06-06-43. Les anglophones vont probablement aux offices religieux protestants. René Dupuy décrit en juin ce qui a pu se passer lorsque l’officier commandant organise une parade aux églises. Ce matin tel qu’annoncé il a fallu se réunir en formation de parade pour le service protestant. Tous les gens d’une autre religion étaient groupés ensemble et l’on ne marchait que jusqu’au terrain avant d’être dispensés du reste — 20-06-43. Je ne suis pas obligé d’assister au service cependant et je vais à la messe de 9 heures comme d’habitude — 19-06-43. Au moment de cette dernière parade, nous en sommes à la période la plus occupée en ce qui a trait au nombre de personnes qui suivent les stages. Il serait bien possible que de 150 à 180 personnes aient marché dans Sainte-Marguerite. Impossible que la population n’en ait pas ressenti les effets.


La suite des événements


En 1944, il est encore officier à la Royal Canadian Air Force. Il est rattaché à l’usine Fairchild à Longueuil, mais menacé de recevoir d’autres assignations où, lui et sa famille, devraient réaménager ailleurs au Canada. Pour contrer ce fait, il désire retourner au civil. Il fait application à Rimouski pour occuper un poste d’ingénieur civil.


La ville est en urgent besoin de pallier ses manques d’électricité ainsi que pour recommencer à construire des résidences. À cet effet, M. Jules A. Brillant, un homme des plus influents dans la région, conseiller législatif à Ottawa, industriel, entre autres, propriétaire de la Compagnie de Pouvoir du Bas-Saint-Laurent, inter- vient auprès du sous-ministre M. Sharpe, le 15 octobre 1945, pour que René Dupuy soit démobilisé de la RCAF. Le 24 octobre 1945, l’autorité militaire informe M. Brillant : que le lieutenant R.E. Dupuy doit être libéré du service dès qu’un avis à cet effet parviendra du 1er détachement, Fairchild, à Longueuil. C’est ainsi que René Dupuy vivra avec sa famille à Rimouski pendant 11 ans pour ensuite revenir à Montréal en avril 1956 jusqu’à son décès en 1998.



Sources :

1 L’Estérel tient alors lieu de l’École d’Administration de la RCAF.

2 No 1, O.T.S. signifie : No 1 Officers Training School, (Info donnée par Stephen Harris de la RCAF)

3 Le texte en italique reproduit tel quel le texte des lettres de René.

4 On saura plus tard que le « Mess » ou « salon des officiers » est situé à l’Hôtel de la Pointe-Bleue à l’Estérel.

5 Article du Toronto Star du vendredi 4 juin 1943.

6 Groupe 1 / 13 mai au 23 juin / Groupe 2 : 27 mai au 7 juillet / Groupe 3 ; 10 juin au 21 juillet / Groupe 4 / 24 juin au 21 juillet (gr. 4 : durée probable du stage de 4 semaines au lieu de 6, selon la note de René Dupuy du 26-06-1943).

7 On ne peut affirmer qu’il y en ait tout autant dans les autres groupes.

8 Article du Toronto Star du vendredi 4 juin 1943.

9 Le « tu » se réfère à son épouse à qui il adresse ces informations.

10 Dates des parades de l’Officier commandant : Les 1,9,16, 20, 23 juin 1943

11 Dates des journées de sports notés par René Dupuy: 3 juin, 6 juin (au Sporting Club), 8 juin, 22 juin

12 Vaccin anti-typhoïde, paratyphoïde A et B

13 Information donnée par Stephen Harris, un membre du personnel de la RCAF : Les objectifs du stage seraient : It was to provide “an intensive course of training in drill, physical training and essential service subjects to all newly Commissioned Officers.”


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