Au temps où le train passaitpar Saint-Sauveur-des-Monts
- Mélanie Tremblay
- 25 juin
- 7 min de lecture
Brigitte Cambon de Lavalette,
membre # 664
Rencontre avec Jean Houde, le dernier chef de gare de Saint-Sauveur-des-Monts*
* Saint-Sauveur se nomme ainsi depuis seulement 2002, soit après la fusion du village et de la paroisse. Auparavant, son nom officiel était Saint-Sauveur-des-Monts. Pour alléger le texte, on écrit souvent seulement Saint-Sauveur.
Il y a bien une avenue de la gare à Saint-Sauveur, mais la gare en a disparu depuis longtemps. En revanche, toujours bon pied bon œil, celui qui en a été le dernier chef de gare, Jean Houde, continue d’habiter Saint- Sauveur. Nous l’avons rencontré, et le témoignage qu’il apporte sur cette époque où il y avait une gare à Saint-Sauveur nous révèle combien la ville tout autant que la vie de ses habitants a changé durant les cin- quante dernières années.
Nous avons tous en mémoire cette carte postale de l’arrivée des skieurs à la gare de Saint-Sauveur. Ils sont joyeux, heureux de chausser leurs skis. Le récit de Jean Houde relate l’ardeur joyeuse avec laquelle il a, lui aussi, traversé cette époque tout en assumant ses responsabilités de chef de gare.

Gare du CN à Saint-Sauveur-des-Monts Collection de la SHGPH circa 1940
Dans les années cinquante, Saint-Sauveur n’était en- core qu’un village agricole d’environ 1 500 habitants dispersés à travers champs et vallées du vaste terri- toire sauverois. La gare était située à l’emplacement de l’actuelle Banque Nationale (2014).
La Compagnie du chemin de fer de la colonisation de Montfort a ouvert officiellement la gare de Saint- Sauveur au printemps 1894. Le train se rendait alors jusqu’à Morin-Flats (Morin-Heights). La compagnie fer- roviaire sera achetée plus tard par le Canadien Natio- nal. La ligne qu’elle desservait partait de Montréal et poursuivait son chemin jusqu’à Saint-Rémi-d’Amherst. Son tracé suivait ce qui est devenu maintenant la route 364. C’est d’ailleurs au moment de la construc- tion de cet axe routier en 1960 que la voie ferrée a été démantelée.
Dans le village, la gare était le lieu incontournable que chacun aimait fréquenter, même sans avoir à prendre le train ou à venir y chercher un voyageur. Au-delà des déplacements ferroviaires, elle remplissait en effet d’autres services qui rendaient son détour obligé et en faisaient à l’époque l’un des lieux les plus rassem- bleurs de Saint-Sauveur.
Comment Jean Houde était-il devenu chef de gare ?
Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, il avait 21 ans, et il voulait s’engager dans l’aviation avec l’idée de devenir pilote. En raison du contingentement, il en a été empêché ; il est donc devenu navigateur et sans-filiste, en apprenant le morse, et cela a été dé- terminant pour la suite de sa vie professionnelle. On se souvient que le morse est un code permettant de transmettre un texte à l’aide de séries d’impulsions courtes et longues.
Une fois la guerre terminée, il est démobilisé. Que faire ? Un ami lui conseille d’utiliser sa connaissance du morse pour devenir chef de gare, profession pour laquelle la connaissance de la télégraphie sans fil était indispensable. C’est par ce système qu’étaient établies les communications entre le répartiteur (ou dispatcher, celui qui régulait les passages des trains et leurs ho- raires) et les chefs des gares de la ligne. Nous en re- parlerons plus loin.
Quel a été son cheminement ? Pour sa formation, il fut assigné dans plusieurs gares afin de se familiariser avec les rouages du métier. Il était appelé à remplacer des chefs de gare durant leurs vacances, leurs congés maladie, etc. Ces expériences ayant été fructueuses, il fut nommé un jour au poste de chef de gare à Saint- Sauveur-des-Monts pour la saison d’hiver. L’été, il offi- ciait au Lac-des-Seize-Îles où les vacanciers étaient attirés par la baignade et le ski nautique.
Sportif, Jean profitait pleinement des séjours dans chacune de ces stations. Cela dura de 1956 à 1960, date du démantèlement des rails du train pour per- mettre la construction de la route 364.
Quelle était alors la fonction du chef de gare ?
Ses responsabilités recouvraient des domaines diversi- fiés qu’il était seul à assumer. Parmi elles, nous distin- guerons les tâches relevant de la régulation et de la sécurité des trains, de celles relevant du contact avec les passagers et la vie locale.
Pour mieux comprendre ce qui relevait des premières, il semble nécessaire de donner un aperçu du contexte ferroviaire. Les trains étaient composés de deux types de convois: il y avait les trains de passagers et les trains de marchandises chargés du fret. Les premiers, à peu près un par jour, étaient cédulés et circulaient à heures fixes contrairement aux seconds dont les heures de passage étaient tributaires de la durée du débarquement des marchandises dans chacune des gares. Or, le réseau comportait des voies à passage unique sur lesquelles les trains ne pouvaient se croi- ser. Il était donc impératif d’en contrôler les heures de passage afin de guider les convois vers les voies de délestage pour éviter les collisions, ce qui se faisait en collaboration avec le répartiteur et les autres chefs de gare de la ligne, Les heures de passages des convois dans chacune des gares devaient être soigneusement consignées. C’est là que le système morse entrait en fonction.

À l’arrivée du train, le fret était consigné et les entre- prises concernées, averties. Le rail servait aussi pour la livraison des colis des particuliers. Tout ce qui main- tenant nous est livré par camion, les frigidaires, le mo- bilier… l’étaient par le rail, tout comme bien souvent les paquets que maintenant nous envoyons et recevons par la poste.
C’est ainsi que le chef de gare était amené à être mêlé à la vie locale. Il devait informer les destinataires pour qu’ils viennent réclamer leurs colis. Et là, c’était le télé- phone ou le bouche-à-oreille des uns ou des autres qui prenait la relève. Jean Houde était là pour superviser les opérations, organiser la destination des colis et des cargaisons.
Il assurait également la réception et l’envoi de télé- grammes pour les particuliers et les entreprises, faisant ainsi office de bureau de poste. C’est ainsi qu’au-delà de sa mission de gestion des déplacements, la gare était amenée à remplir aussi celle de bureau de poste, assurant un service moins onéreux, semble-t-il, qu’il ne l’est devenu (2014).
La gare était donc un lieu très fréquenté dans le vil- lage ; on y venait pour informer et aussi, pour s’informer. La salle d’attente bien chauffée par un gros poêle en fonte, dénommé la truie pour une raison in- connue, complétait l’attraction en hiver. On y venait donc également pour se réchauffer tout en discutant avec le voisinage. On le constate aisément : la gare occupait une place privilégiée de la vie du village : on y passait pour dire bonjour à Jean Houde, voir si on avait reçu un paquet, ou si untel qui en attendait un l’avait reçu. C’est là que les informations importantes arri- vaient, étaient distribuées, commentées. C’est là que devait se passer l’essentiel de la vie sociale. Voyant Jean Houde aujourd’hui, on peut facilement imaginer l’entregent avec lequel il devait assumer cette tâche.
N’oublions pas que le chef de gare devait aussi assu- rer la vente des billets, en établir le décompte et les comptabiliser dans les inventaires.
Comme Jean Houde le souligne, la fonction de chef de gare lui conférait une place respectée dans la société sauveroise, ce qui semble légitime étant donné les responsabilités qu’il avait à assumer : d’une part, la sécurité des déplacements, et de l’autre, l’apport de son travail au bien-être de la communauté favorisaient le désenclavement du village.
De nos jours, alors que chacun possède téléphone, radio, internet, télévision, ce type de lieu a disparu du tissu urbain, les échanges directs en étant considéra- blement appauvris.
Telles étaient les principales tâches et fonctions in- combant au chef de gare.
Quelques souvenirs de Jean Houde
À l’époque cependant, les rôles étaient moins rigides que ce qu’ils sont devenus maintenant où les normes et les consignes doivent être suivies de façon plus stricte. Le récit de Jean Houde fourmille d’anecdotes relatant la gaîté avec laquelle on pouvait alors s’en ac- commoder. Ainsi, lorsque tout était en ordre à la gare et que le prochain train n’était pas encore annoncé (il n’y en avait que deux par jour en semaine), Jean filait sur les pistes de ski de Saint-Sauveur qu’il dévalait en surveillant au loin l’arrivée du panache de fumée. L’été, c’est en pratiquant le ski nautique au Lac des Seize- Îles qu’il surveillait de loin le panache de fumée.

C’était le party !
La popularité croissante du ski favorisait l’usage du train pour venir dévaler les pentes et partager l’ambiance joyeuse et pleine de bonne humeur, si fré- quente à cette époque, et que la promiscuité du train favorisait d’autant plus. Les fins de semaine, les skieurs débarquaient par trains entiers, et le soir venu, la jour- née s’achevait dans les hôtels aux sons des orchestres qui faisaient danser tout le monde. Jean Houde se souvient de l’hôtel Nymark, aux pieds des pentes de ski, où l’après-ski était particulièrement populaire et amu- sant. Dans les trains au retour, ça ne manquait pas d’ani- mation.
C’était le party !
se souvient-il.

À l’époque, la pratique du ski était moins onéreuse que ce qu’elle est devenue. Les vêtements n’avaient rien de sophistiqué, les remonte-pentes étaient rudimen- taires ; le ski était un sport vraiment populaire. C’est parmi ces voyageurs que Jean avait rencontré son épouse qu’il avait remarquée alors qu’elle était dans la file d’attente pour acheter son billet.
Un jour, Jean Houde est contacté par hasard, par une agence de Toronto (un chef de gare, ça connaît tout !) : on cherche des chalets à louer. Bien sûr, il éta- blit le contact et c’est ainsi que la station de ski de Saint-Sauveur-des-Monts commence à être connue en Ontario.
À écouter Jean Houde, on a le sentiment d’être bien loin de cette époque, pourtant pas si éloignée. Tout le monde était-il aussi joyeux que lui ? Est-ce dû à son caractère ? À l’âge qu’il avait alors ? Une chose paraît certaine, la gare assumait un service collectif qui n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Avec les progrès de la technologie, nous sommes devenus des individus autonomes. Les liens sociaux s’en trouvent appauvris. Faudrait-il les réinventer ?
C’est bien légitime que l’on ait conservé son nom à l’avenue de la gare, c’est par elle qu’est probablement passée une bonne part de la popularité que la ville a maintenant acquise.
Serait-elle la même aujourd’hui s’il n’y avait pas eu une gare autrefois ?
Autres photos d’époque


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