Au moment de la Deuxième Guerre mondiale
- Admin
- 6 juin
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Avec la collaboration de Jacqueline Dumas

À travers les affres de toutes guerres se faufilent souvent des actes d’abnégation et de solidarité qui permettent à la beauté de l’emporter ne serait-ce qu’un tout petit peu sur l’affreux et l’immonde.
Étonnamment, Saint-Sauveur fut au temps de la Deuxième Guerre mondiale, le théâtre d’une de ces manifestations d’humanité. Et certains de ses résidents en furent les acteurs ou les spectateurs.
1938
À travers les affres de toutes guerres se faufilent souvent des actes d’abnégation et de solidarité qui permettent à la beauté de l’emporter ne serait-ce qu’un tout petit peu sur l’affreux et l’immonde.
Étonnamment, Saint-Sauveur fut, au temps de la Deuxième Guerre mondiale, le théâtre d’une de ces manifestations d’humanité. Et certains de ses résidents en furent les acteurs ou les spectateurs.
L’officier de grade 1 de l’armée Britannique, Tim Massy-Beresford fait, comme beaucoup d’autres, une triste lecture de l’activité politique européenne. Hitler étend ses tentacules, prépare son armée, fait tout pour convaincre son peuple que l’Allemagne est invincible. Les chefs d’états des pays voisins réalisent qu’un conflit devient inévitable, que la guerre est à leurs portes.
Craignant pour sa famille, l’officier britannique profite d’une affectation à Kingston en Ontario et du fait que sa femme Molly a grandi à Montréal, pour vendre leur maison du Hertfordshire et déménager en terre canadienne. Combien de temps dureront les hostilités à venir ? Il ne saurait dire, mais il sait que l’Empire britannique ne saurait être épargné.
En février 1939, à bord du RMS Queen Mary, embarquent le militaire et son épouse enceinte, leur fille Patricia, âgée de 8 ans, Michael, 4 ans et la gouvernante Tattie Davies. Destination New York et ensuite Kingston, où la famille s’installe temporairement, du moins, le croit-elle. À la fin de l’année, l’officier Massy-Beresford apprend brusquement que sa mission ontarienne se termine. Les choses vont au plus mal en Europe. La guerre à l’Allemagne est déclarée. Il sera donc affecté à de nouvelles fonctions, il est rappelé dans son pays. Il n’est évidemment pas question pour la famille de rentrer en Angleterre. Le père retournera seul. Les enfants resteront au Canada et heureusement, dans leur cas, leur mère sera à leurs côtés. En cela, Patricia, Michael et le nouveau-né Christopher précéderont des milliers d’autres enfants ressortissants britanniques qui quitteront leurs îles à partir de 1940 vers le Canada, les États-Unis, ou l’Afrique du Sud et l’Australie, question d’échapper aux violences guerrières.
Au début de 1940, plus de 225,000 demandes seront reçues par le gouvernement anglais venant de parents prêts à se séparer de leurs êtres les plus chers, si c’est pour leur assurer la vie. « Get the children out » disent les Anglais pendant que Winston Churchill, toujours imperturbable devant l’adversité, declare de son côté : « No relative of mine is going to run away ». Malgré cet effet de toge, le gouvernement britannique dépensera plus de trois millions pour faire sortir le plus d’enfants possible de l'île, faisant de cette opération l’un des plus grands mouvements de masse de l’histoire du monde. Tout cela pour une invasion allemande appréhendée qui n’aura jamais lieu ! Il y eut des bombardements, oui, mais pas d’invasion…
À cette époque, l’Empire britannique est à son apogée et règne encore sur près du tiers de la planète, y compris le Canada. Montréal, entre autres, est composé d’un fort contingent de Britanniques qui contribuent largement à l’essor de la ville, dans le commerce et les industries de toutes sortes (en même temps qu’à un certain asservissement des francophones, faut-il le rappeler). Et c’est grâce à l’un de ceux-là que la famille Massy-Beresford et de nombreux autres jeunes Anglais aboutiront à Saint-Sauveur.
Saint-Sauveur
Maman Molly compte de nombreux amis à Montréal, dont Marion, épouse de l’architecte Gordon Reed qui s’est fait construire une résidence secondaire au nord du village de Saint-Sauveur, quelques années auparavant.
Quand vient le temps de décider où la famille s’installera au Canada après le départ de Kingston, la nouvelle maison de Saint-Sauveur qu’on surnomme le Pignon rouge (située sur le chemin de la rivière à Simon) devient, à la suggestion de Marion, l’endroit tout indiqué pour les Massey-Beresford. La famille s’y installe donc en avril 1940. Plus tard, ils habiteront la maison des Reed. Mais voilà !

Être logés et nourris peut suffire à des adultes, mais qu’adviendra-t-il de l’éducation des enfants le temps inconnu que dureront les hostilités en Europe? Le système scolaire autochtone est-il la solution ? Pas évident. Il y a surtout le problème de la langue, il faut trouver une autre solution.
Le P.N.E.U.
Comme de nombreuses familles britanniques se promènent déjà sur la planète, même en temps de paix, depuis près d’un siècle, à des fins de développement des colonies, l’Empire a mis en place un système d’éducation « transportable ». La Parents National Educational Union (P.N.E.U.) a été créée de toutes pièces, de façon à s’assurer que les enfants expatriés soient éduqués convenablement sur tous les continents à la manière anglaise, quelque soit le pays où ils soient. Plusieurs gouvernantes, nurses et « nannies » qui font partie des familles notables de l’époque sont formées au système P.N.E.U. Ce sont elles qui voient à l’éducation scolaire d’enfants de tout âge dans toutes sortes de situations différentes, voyageant à travers le monde avec leurs maîtres.
C’est alors qu’entre en jeu Marjorie Tovey : Justement la Miss Tovey que connaît Molly, par cousins interposés, puisqu’elle est gouvernante chez eux. Cette femme de tempérament, éducatrice, dirigeante de nature, formée au P.N.E.U., pourrait être la personne tout indiquée pour voir à l’éducation des enfants de Molly. Mais comment s’assurer de sa venue en Amérique ? Le couple Massey-Beresford se chargera de tout le nécessaire pour la faire s’installer à Saint-Sauveur. Et ça ne sera pas de tout repos. Il faudra d’abord composer en Angleterre un groupe d’une vingtaine de jeunes écoliers prêts à partir pour justifier les dépenses de la création d’une école P.N.E.U. à Saint-Sauveur et le voyage de Miss Tovey. Il faudra ensuite trouver les locaux et résidences nécessaires à l’école et à l’accueil de ce groupe, y compris les enseignants et le personnel de soutien. Finalement, il faudra trouver les sommes nécessaires au financement et au bon fonctionnement du projet. Molly, Tim et Miss Tovey formeront équipe pour y arriver.
Le développement du projet se doit d’être rapide. Au mois de juillet 1940, bien qu’une foule de détails restent encore à régler, Miss Tovey monte à bord du Duchess of Richmond, accompagnée de seize enfants dont les parents acceptent de se séparer non sans douleur et tristesse à travers les cris, les pleurs des enfants et l’inquiétude des parents. Monte aussi à bord un groupe féminin de professeurs; elles seront un peu les « anges gardiens » de ces enfants. Le voyage durera huit jours périlleux. Les Allemands et leurs U-boats torpillent tout ce qui bouge dans l’Atlantique Nord. Il faut donc que le bateau zigzague en pleine mer pour éviter de devenir une cible.
Pendant que voguent Miss Tovey et sa marmaille, Molly fait des pieds et des mains afin de dénicher différents endroits dans le village pour loger les membres du groupe qui s’en vient. Ce seront le Penguin Club et le Hertford Lodge, établissements de l’époque aujourd’hui disparus, qui servaient surtout à loger des groupes de skieurs venant de Montréal, surtout la fin de semaine. Quelques enfants seront aussi logés chez des particuliers. Voilà donc que le village de Saint-Sauveur sera bientôt peuplé de petits orphelins temporaires, gracieuseté de Sa Majesté.
Travaillant sans relâche à son projet qui, en plus de subvenir à ses propres ambitions rend service à l’Angleterre, Molly voit aussi à la création du Fonds Massey-Beresford. Celui-ci est rendu obligatoire par les restrictions extrêmement sévères en cours en Angleterre durant la guerre, concernant les sorties d’argent du pays et qui font que les enfants sont pour la plupart désargentés. Le Fonds n’aura d’autres fins que d’assurer le bien-être des élèves durant leur séjour au Canada.
De nombreux contributeurs à ce fonds seront des Américains ou des Montréalais qui sont en lien direct ou indirect avec les familles impliquées. Mais de Saint-Sauveur, le duc et la duchesse de Leuchtenberg, les Reed et le colonel John Molson s’impliqueront directement dans le projet. La famille Molson sera d’ailleurs le principal donateur du Fonds, moyennant une somme de 2 500 $.
Le choix d’un emplacement pour l’école est l’une des principales préoccupations de la courageuse Molly qui n’a de cesse de voir à la vie heureuse de sa famille « éclatée ».


À l’automne, elle s’implique directement dans les sérieuses négociations concernant l’utilisation potentielle du Club Mont-Gabriel à titre d’école. Les propriétaires du Club, monsieur et madame Douglas, sont de souche anglaise, résidents de Long Island aux États-Unis et sont disposés à accueillir l’école moyennant certaines conditions. C’est alors qu’en novembre, coup de théâtre, se libère, à Saint-Sauveur même, une autre auberge, le New Colony Inn (aujourd’hui l’auberge Saint-Denis). Cet endroit situé bien plus près du lieu de résidence des enfants qui jusque-là, reçoivent leurs cours au Penguin Club, est donc loué pour trois ans par le Fonds Massy-Beresford pour en faire officiellement une école qui portera le nom de Rydal House (du nom d’un village anglais situé non loin du lieu de fondation du P.N.E.U.).
Certains enfants y résideront avec Miss Tovey et les autres professeurs (quelques-unes avaient leurs propres enfants), pendant que d’autres continueront d’habiter différentes maisons du village. D’autres enfants arriveront plus tard.
La vie dans la Vallée
C’est en plein cœur de Saint-Sauveur que se retrouveront donc chaque jour de l’année scolaire jusqu’en juin 1943, plus de soixante jeunes Anglais et Anglaises de tout âge, afin de recevoir les enseignements de Miss Tovey et de ses collègues. Certains y passeront quatre années, d’autres n’y feront que de courts séjours.
Ce sont les Pratt, les Mackintosh, les Maitland et bien sûr les Massy-Beresford par qui tout cela avait commencé, venus à bord du Duchess of Richmond, Duchess of Atholl, Monarch of Bermuda ou autres transatlantiques, se mettre à l’abri de l’effroyable. L’école accueillera même Simon et Davina Bowes-Lyon, neveu et nièce de la Reine Élisabeth, épouse du roi Georges VI.
Dans un recueil fort justement composé par Michael Massy-Beresford et Christine Maitland en 2000, vingt-six de ceux qui participèrent à l’aventure racontent leurs souvenirs heureux de cette période singulière de leur enfance. Ce document, disponible à La société d’histoire et de généalogie des Pays-d’en-Haut et qui vaut la peine d’être lu, ne serait-ce que pour savourer l’humour anglais de Michael Massy-Beresford, est touchant d’émotion et témoigne de la belle relation qu’eurent les gens de Saint-Sauveur avec leurs amis britanniques durant les années de guerre.
Ski et vie champêtre
Dans les textes qu’ils ont fournis, la plupart de ceux et celles qui vécurent les années du Rydal House se souviennent chaleureusement du froid, de la neige, du chauffage souvent inadéquat ainsi que de leurs mitaines glacées. Même si l’école servait avant tout à l’enseignement des matières de base et était menée de main rigide par Miss Tovey, tous y relatent le plaisir qu’ils eurent à dévaler les pentes 69, 70 et 71, à se baigner à la piscine des Nymark ou au lac Saint-Sauveur situé un peu plus à l’ouest. Peut-être se rendaient-ils jusqu’au lac Pagé ? On sait que dans les années qui suivirent, les abords en ont été aménagés pour accueillir les jeunes du village avec l’O.T.J. (l’œuvre des terrains de jeux). Quel plaisir également d’aller cueillir les petits fruits sauvages dans les bois l’été venu. Comme si tout à coup l’enseignement des mathématiques et de l’anglais avait été tout à fait secondaire !
Et puis, il y eut toutes ces rencontres avec les gens du village. Le maître de poste si important et sympathique à leur égard, puisque porteur des nouvelles des parents, puis monsieur Bélisle, le vendeur de
« mellorolls » (cylindres de crème glacée dont plusieurs disent que c’est la meilleure qu’ils mangèrent de toute leur vie), sans oublier les visites au cordonnier monsieur Gagnon : fallait bien faire réparer les chaussures; les demoiselles David : Lucienne et Léontine, tenancières de la première Banque Nationale dans leur maison… !
On peut y lire de savoureuses anecdotes hivernales, des histoires d’ours abattus en plein village ou de livreurs de bois de chauffage promenant les élèves à bord de leurs traîneaux. On y découvre aussi l’implication du duc de Leuchtenberg et du colonel Molson dans la recherche d’une vie agréable pour toute cette jeunesse.
La fin
En juillet 1943, Miss Tovey annonça par voie de communiqué que Rydal House serait dissoute. Elle invoqua l’impossibilité de louer le Colonial Inn plus longtemps et le fait que les enfants devaient élargir leur réseau social pour lui donner l’occasion de mettre fin aux activités.
Petit à petit, à mesure que de plus en plus Hitler perdait ses batailles, chacun rentra chez soi en Angleterre. La plupart empruntèrent la « route neutre », une voie maritime atlantique négociée par les Portugais, libre de toute contrainte guerrière, et qui menait à Lisbonne. Les enfants Massy-Beresford et la vaillante Molly retrouvèrent leur homme, Tim, en bonne forme, lui qui avait été fait prisonnier pendant trois ans et demi par les Japonnais à Singapour. Et Miss Tovey se trouva une nouvelle mission éducatrice dans son pays.
Épilogue
Au milieu des années 80, Simon Bowes-Lyon, le neveu royal, retourna à l’Auberge Saint-Denis question de se remémorer les bons moments passés quarante ans plus tôt. Quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir, en visitant la cave de l’auberge, des livres d’école du temps du Rydal House. « Je ne me souvenais même pas d’y avoir étudié », dit-il.
Grâce aux gens de Saint-Sauveur et bien sûr à Molly Massy-Beresford et à Marjorie Tovey, la Deuxième Guerre mondiale aura été incroyablement, pour quelques chanceux, un jeu d’enfant. Comme quoi, même les guerres engendrent de belles histoires d’affection et de communautés entremêlées.
À vrai dire, il semble que pour tous ces petits Anglais, la vie à Saint-Sauveur, malgré la gravité de la situation marquée par l’inquiétude et l’absence, conservera pendant quatre ans un caractère parfaitement idyllique.

LM-112-15
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